sans histoire

«...peut-être ces filles (dont l’attitude suffisait à révéler la nature hardie, frivole et dure), extrêmement sensibles à tout ridicule et à toute laideur, incapable de subir un attrait d’ordre intellectuel ou moral, s’étaient-elles naturellement trouvées parmi les camarades de leur âge, éprouver de la répulsion pour toutes celles chez qui des dispositions pensives ou sensibles se traduisaient  par de la timidité...»

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Avec J’adore, Dior tient son N°5. Structure classique de floral abstrait et effet propre, moderne, il est question de shampooing aux fruits, pas d’aldéhydes savonneux; J’adore est rayonnant, lumineux. D’ailleurs il a détrôné le N°5 dans les ventes. Techniquement, c’est une très élégante réussite: joli bouquet jasmin tubéreuse qui diffuse joliment un élégant sillage de classique et fruits modernes, juteux, qui sentent bon les cheveux lavés avec Fructis de Garnier. En J’adore, tout le monde est content, d’autant plus content que les variations sur le même thème ne manque pas pour les collectionneuses du joli flacon très inspiré de la collection Massaï de John Galiano. Ajoutez un marketing implacable mais bien fichu et ce jus à tout pour plaire.

Mais je n’aime pas J’adore, aussi bien fait soit-il. Je ne le déteste pas non plus, à choisir, je préfère le sentir à beaucoup d’autres, simplement, je le méprise un peu. Sous son habit de lumière, il n’a pas de cœur et pas d’âme. Calibré, il ne raconte aucune histoire, n’évoque rien, il semble creux. On l’aimerait un peu plus déséquilibré, on voudrait le sentir vivant, mais il se contente d’exister, élégant et riche, dépourvu de la moindre émotion. 

En un sens il va mieux à notre époque que l’original N°5 et son fichu caractère, il ressemble à ces visages uniformisés par la chirurgie, lissés par le peeling, figés par le botox, à ces visages Instagram uniformément surexposés. Je lui cherche toujours, en vain, une éventuelle part d'ombre. Dans sa quête de succès, il a oublié d’être et incarne à la perfection une certaine superficialité, paradoxalement assez lourde, où seules les apparences comptent. Dior a voulu faire une blonde hitchcockienne mais a omis que le plus important est la névrose sous le brushing. Ce qui n'empêche pas le blockbuster de cartonner au box office...

Mais s'il vous plaît, faites-moi rêver et racontez-moi des histoires!

J’adore, Calice Becker et Ann Gottlieb pour Christian Dior, 1999.

Commentaires

  1. "J'adore" m'a toujours insupporté. Je le trouve mièvre, faussement modeste, d'une élégance en plastique. Un jour, j'ai été vaporisée par surprise d'un de ses éternels flankers par une vendeuse un peu trop zélée. Bref, ma haine n'en est que plus forte maintenant...

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    1. Je ne l'ai jamais trouvé ni modeste, ni faussement modeste. Au contraire, un peu prétentieux. Comme quoi, les ressentis... Oui, alors; les flankers, avec lui, on n'est pas sorti de l'auberge. Ilm y en a au moins deux par ans, non?

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    2. Après une petite virée sur Fragrantica, il s'avère qu'il y a eu en tout 19 versions de J'adore depuis sa sortie en 1999. Pas si horrible que deux par an, mais trop tout de même. Addict et Miss Dior (nouvelle version) le dépassent de peu !

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    3. Bonsoir Dau,
      J’allais répondre comme Mara que sur Fragrantica il y a 19 variantes de j'Adore ;)
      Il y en a eu une que j'aurais porté, J'Adore l'eau de Cologne florale de l'an 2009, les autres m'indiffèrent ou tout simplement me déplaisent; je ne vois vraiment pas l'intérêt de ce jus.
      A ce que j'ai lu, l'odeur est devenue au fil des ans de plus en plus grasse, sans nuances, sans facettes, mais je ne peux pas vous dire à Madrid je ne connais personne qui se parfume avec J'Adore, ni avec Miss Dior (avant Miss Dior Chérie).
      Très cordialement et à bientôt!
      Sara

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    4. Apparemment J'Adore 2017 appelé J'Adore in Joy rappelle selon les sources de Fragrantica Womanity ou Womanity Aqua Chic!
      A bientôt!
      Sara

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  2. Bonjour Sara et Mara
    20 (oui, j'arrondis...) version du même parfum, si ça c'est pas rentabiliser une campagne publicitaire! Pas étonnant que chacun finisse par y trouver une version aimable si vraiment la réclame le séduit. L'intérêt? Vendre, vendre, vendre. Je pense que nous ne soimmes pas la cible et qu'il n'est vraiment pas fait pour des nez exigeant qui veulent acheter une émotion, un émerveillement, en sus du flacon. J'adore, c'est un perfum fait pour celles qui se parfument sans y penser avant d'aller au bureau ou en soirée parce que c'est plus élégant, que ça finit la toilette et que c'est luxe. Peut-être qu'elles pensent même que ça donnera l'impression qu'elle sont habillées en Dior? Dans le fond, j'adore est facile à porter pour elle et facile à oublier pour nous, ce qui fait que je le trouve sympathique. Sans avoir envie de le porter du tout bien sûr, c'est juste qu'il me dérange moins que d'autres... Je le respecte moins que Dior Addict qui était plus original dans son genre rentre-dedans, par exemple, mais je le supporte mieux.

    à bientôt

    Dau

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  3. Bonsoir Dau et Sara,

    J'ai repensé à cet article ; je me suis demandée ce qui poussait la majorité des gens à acheter un parfum, et ce qui poussait les passionnés à faire le même acte d'achat parfois pour le même produit (et parfois pour des choses complètement différentes). En fait, le parfum est vu par le passionné comme quelque chose qui fournit une expérience qui penche du côté du "beau", avec une émotion esthétique particulière et un étonnement constant devant cette beauté. Alors que le consommateur moyen recherche quelque chose qui soit avant tout agréable, qui ne dérange personne, mais qui du coup manque souvent d'intensité, de caractère. Le beau, le vrai, c'est un peu une anomalie, quelque chose qui n'est jamais facile. Comme Dau avec Géranium Odorata (je crois, je me trompe peut-être).

    Et pour en revenir à J'adore, ma conclusion : il est trop lisse pour être beau. "Sans histoire", vraiment.

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    1. Bonjour,

      Entièrement d'accord. J'ajouterai juste qu'il y a une question de statut social qui joue aussi parce que, dans ce cas, Dior, surtout à l'époque Galiano, c'était LA marque convoitée chic, etc. et puis J'adore correspond dans sa "lisseté" à une obsession de notre époque: désodoriser, sentir le propre, la lessive...Bref, cacher ce sein que nous ne saurions voir et surtout ne pas jouer avec l'odeur du corps, de la chair. C'est triste, mais la part de "puant" nécessaire à un beau parfum est de plus en plus mal acceptée. J'adore est, aussi, très hygiéniste. Ce qui dans ma bouche n'est pas un compliment.

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