indécence subliminale

"car elle était enfin morte, faisant triompher à la fois ceux qui prétendaient que son régime affaiblissant finirait par la tuer et non moins les autres qui avaient toujours soutenu qu’elle souffrait d’une maladie non pas imaginaire mais organique, à l’évidence de laquelle les sceptiques seraient bien obligés de se rendre quand elle y aurait succombé."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Au début du millénaire, le marketing a décrété que le chypre classique était mort. Bien sûr on continue de produire des classiques pour les malheureux dans mon genre qui ne savent pas qu’ils sont déjà morts, puisqu’après tout ça se vend tout seul et que ça rapporte encore un peu d’argent, mais pas question de se laisser emmerder par d’éventuels délires des créatifs qui veulent faire de l’art ou du beau. Le chypre, ce n’est pas vendeur, le départ n’est pas très sympathique, ça doit se sentir pendant des heures pour être apprécier, non quoi ! Un parfum, ça doit se sentir, être aimer et acheter en cinq minutes montre en main parce que les vendeuses ont autre choses à faire, merde!  Du néo-chypre, de la rose sur patchouli assaisonnée d’un coulis de fruits rouge et puis c’est tout !

Mais visiblement, le faire-part de décès n’est pas parvenu à Oman. Il est vrai que l’amateur qui découvre un stand Amouage a souvent l’impression de découvrir un stock de vintage mystérieusement ressorti de la cave de la parfumerie plutôt que d’explorer la parfumerie exotique du Moyen–Orient. Le luxe d’Amouage est tout entier dans une tradition des belles matières, vraiment, avec eux, nous ne sommes jamais dans l’excuse prix- manque de créativité, traitées de façon terriblement classique. Jubilation 25 est né en 2007 mais on le jurerait beaucoup plus ancien, pour notre plus grand bonheur.
D’emblée Jubilation est sérieux, il ne sourit guère, cela ne siérait pas à son genre de beauté brune, plus typée femme fatale et beau ténébreux que starlette au sourire Pepsodent ou maître-nageur2 beau gosse. L’ouverture difficile est là, relativement fraîche et, aussi, très cumin sur moi. Ça ne me fait pas peur mais j’ai quand même un petit moment de recul à chaque fois. Ensuite la partition se joue en beauté, très riche et dense. De belles fleurs, notamment la rose, et des notes de fruits trop mûrs qui rappelle tour à tour les grands anciens que nous avons tant aimé, Mitsouko, Femme et dans une certaine mesure Diorella, pour la note fruitée un peu blette, plus que la pêche fraîche de Mitsouko. Tout est soudé, complexe, peu lisible, mais très fluide dans l’évolution. Bien sûr, le fond sombre est bien présent, donnant au parfum le mystère qui lui est nécessaire. Il y a le patchouli, du vétiver, mais rien dans le parfum n’est raide, il a simplement de la tenue ; l’ambre, les muscs et la mousse le rendent délicieusement moelleux, soyeux.

Comme tous les classiques du genre, Jubilation est un parfum qui se marie bien avec l’automne, le froid, les couleurs chaudes des feuilles mortes et les lueurs du feu dans la cheminée. Simplement, ou pas simplement du tout, là où beaucoup de chypres évoquent le col de fourrure qui réchauffe, le parfum d’Amouage ne fait pas dans la demi-mesure et propose le manteau complet, taillé large. Et tels les grands anciens, très habillé, il laisse cependant deviné le corps et la peau qu’il cache si bien. Le chypre, quand c’est réussi, et Dieu sait que jubilation 25 l’est, réussi, c’est toujours l’indécence subliminale. (Et sublimée !)

Jubilation 25, Lucas Sieuzac pour Amouage, 2007.


Commentaires