"Il est difficile, quand on est troublé par les idées de Kant et la Nostalgie de Baudelaire, d’écrire le français d’Henry IV, de sorte que la pureté même du langage de la duchesse était un signe de limitation et qu’en elle et l’intelligence et la sensibilité étaient restées fermées à toutes les nouveautés."
Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1920.
Un livre d’images. Des photos. Hallucinantes. Les années ’50, on s’y croirait. Sauf que tout cela n’est pas les fifties. Charles Chojnacki, photographe belge, a parcouru le monde pour photographier les nostalgiques de ces années-là, ceux qui se rassemblent pour les revivre, les recréer. L’illusion est parfaite, on s’y trompe. Le style est Rockabilly plutôt que New Look et Balenciaga, ce que bien sûr, j’eusse préféré. Très loubard et Pin Up. La surabondance de tatouages est l’un des indices de la modernité, à l’époque, il n’y en avait pas autant, pas si voyants, et pas forcément de ce style. C’eut été jugé abominablement vulgaire et aurait suffi à faire de vous un hors caste d’ailleurs…
J’ai beaucoup aimé le livre. Adoré. Mais j’ai éprouvé un étrange sentiment de malaise. Comme ces gens qui sont photographié, j’aime les esthétiques passées, j’aime cette époque. D’ailleurs, c’est paré de Miss Dior vintage que je l’ai feuilleté. Mais il y a de la distance dans ma fascination, un décalage, un second degré. Lorsque je porte Miss Dior, je me déguise olfactivement en bourgeoise 1950, mais je ne recrée pas l’époque, je lui emprunte certains traits esthétiques, certains code qui s’harmonisent avec mon état d’esprit et mes névroses du moment. Les gens qu’on voit dans le livre semblent revivre une période heureuse, optimiste. On dirait qu’ils se replongent dans un Âge d’or… Personnellement, je n’idéalise pas vraiment les années ’50, cette merveilleuse époque où les nègres restaient à leur place et ou les femmes avaient le droit de se taire. J’ai vraiment un inconfort face à ces gens sur les photos, parce que je ne sais pas du tout quel est leur point de vue, s’ils sont conscient de ces choses, s’ils les valident ou pas. (Ils sont tous blancs. Je dis ça, je ne dis rien…)
Si j’ai beaucoup aimé Mad Men, ce n’est pas uniquement parce que la série reprenait une esthétique passée, mais parce qu’elle traitait de cette période et surtout de son malaise, de la façon dont les gens en sont sorti durant la décennie suivante. Mes deux personnages préférés sont Betty et Joan. Deux femmes, la bourgeoise élégante et la bombe sexuelle. Mais pas uniquement pour l’élégance et par amour des courbes. Parce que j’ai une empathie pour elles, pour Betty, ses névroses, son psychiatre, son addiction à la cigarette, la prison de sa petite vie d’épouse ou tout est décidé pour elle, pour Joan, jamais prise au sérieux, toujours renvoyée à son statut d’objet sexuel, statut dont elle joue aussi, certes, mais probablement parce que c’est le seul moyen pour elle de ne pas être une victime totale. J’ai choisi ces deux personnages, mais j’aurais pu les passer tous en revue, chacun a ses problème, chacun est à sa façon mal dans cette société des années ’50, en dépit des jolies apparences, de l’opulence, du glamour de la période.
50’s tokay est un livre à regarder, à posséder, à aimer, mais attention à ne pas tomber dans un piège et voir dans cette époque où « les hommes étaient des hommes et les femmes portaient des jupes » un paradis perdu. Certaines choses étaient mieux avant, mais pas toutes…
50's today, Charles Chojnacki, 2015.
Commentaires
Enregistrer un commentaire