reflets d'histoire

“Certes, je leur trouvais du charmes à ces brillantes projections qui semblaient émaner d’un passé mérovingien et promenaient autour de moi des reflets d’histoire si ancien.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Vendredi passé, en charmante compagnie, j’ai reçu une petite leçon d’histoire chez Guerlain. Oui, je sais, j’ai vraiment beaucoup de chance. Nous avons eu la chance de sentir en compagnie de Frédéric Sacone les anciens parfums de la maison qu’il a repesé dernièrement. Si la première série qui avait donné naissance à la « saga Guerlain » sur AuParfum tournait surtout autour du travail de Jacques, la collection actuelle élargit considérablement le champ et permet d’explorer un passé plus lointain. Si on me donne à sentir le XIXème siècle, vous pensez bien que je suis heureux…

Je ne vais pas vous faire une saga Guerlain à moi tout seul, j’en serais bien incapable, manque de temps, de culture, etc. Mais je ne résiste pas au plaisir de vous faire part de mes impressions, un peu brutes de décoffrages, sans réflexion très construites.

Le début du XIXème siècle, c’est encore l’antiquité pour la parfumerie, puisque le parfumeur ne dispose que de matières premières naturelles. Et franchement, le naturel, c’est chiant. Pas moyen de le dire autrement. Des rendus un peu plats, un peu médicinaux. Pour compenser, on sent que très tôt, l’obsession de la maison Guerlain, dont on vente pourtant toujours les fonds, c’est de donner de l’éclat, du volume au départ, et pour se faire, grand usage est fait dans les premiers parfums de bergamote. Non traitée bien sûr. Parfois, on ne sent d’abord qu’elle, elle vrille les narines, fait presque mal… On se plaint des bois kipiks, mais la bergamote peut-être aussi irritante. Mais elle ne tient pas indéfiniment, elle ! 

Avec le temps, avec la chimie, on sent vraiment que les départs deviennent de plus en plus beaux, (allez sentir le départ anisé de l’Heure Bleue dans sa version eau de toilette actuelle pour vous faire une idée !), et que le parfum, dans son ensemble est plus ciselé, plus précis. On sent qu’il y a un vrai jeu sur l’évolution qui se met en place. Quand on sent, on se dit qu’il y a des choses bien, d’autres moins, et que le temps qui a trié a bien fait son œuvre. Il y a des choses belles, très belles, des choses qu’on aurait plaisir à porter, mais pas aussi fines qu’un Mitsouko, par exemple, qu’on n’en finit pas de redécouvrir de flacon en flacon. 

Ce que j’ai remarqué aussi, et là, c’est un peu dommage de ne pas sentir également d’autre maison pour savoir s’il s’agit d’un style propre ou d’un effet de mode, ce sont des parentés plus ou moins évidentes entre certains parfums. Par exemple et parce que je les connais bien, il y a une ressemblance qui est souvent évoquée entre Après l’Ondée et l’Heure, Bleue. Oui, bien sûr, mais pas tant que ça. Enfin, disons que je ne l’avais jamais perçue très clairement. Et soudain, plusieurs parfums qui s’en rapprochent, établissent des liens. Fol Arôme en 1912 se détache particulièrement. Il jette un pont entre les deux parfums. Il semble une variation sur Après l’Ondée, une variation débarrassée de la tristesse, qui me rendait ce si beau parfum presqu’impossible à porter pour moi parce que trop déchirant. Je parle de la version ancienne bien sûr, celle qui est produite actuellement, conforme IFRA, n’a plus rien à voir. (Pour moi, sa tristesse atteint celle du moment où le narrateur de La Recherche réalise que sa mère ne viendra pas l’embrasser et entre dans cette angoisse de la séparation qui va conditionner toute sa vie amoureuse.) Moins terreux, plus aérien, l’iris est très présent, le parfum se poudre énormément. Que s’y joute un peu de gourmandise et de sensualité et apparaît l’Heure Bleue dans sa nostalgie heureuse et tendre, poignante comme un souvenir chéri, mais sans douleur.

Le jeu des parfums à tiroirs est vraiment amusant. Ces passages de formules qui se déplacent, voyagent sont utilisé et réutilisés. C’est un style, un genre, qui se propage, évolue, traverse les époques et les modes. C’est intéressant parce que c’est assez inégal. Les chypres, par exemple, ont des pans de formules qui circulent, mais certains sont éclatants, facettés, plein de relief et de mystères, comme Mitsouko, et d’autres semblent un peu plats, étouffants et sans vie… (Comme le Chypre 53) ça force à regarder notre époque d’une autre façon, à nous demander ce qui survivra sans considérer comme la norme la situation que les plus âgés ont connue quand une maison lançait un parfum ou deux par décennie en considérant qu’ils devaient survivre.

Beaucoup de questions se sont posées pendant cette réunion liée au fait que si les odeurs pouvaient être recréées, les pratiques ne l’étaient pas. Comment se portait le parfum ? Comment se vivait-il ? Quid des flacons ou de la vaporisation ? Du parfum porté sur la peau ou sur étoffe. C’était la règle à l’époque, le mouchoir de Monsieur ne s’appelle pas comme cela pour rien… Ces départs qui nous semblent violents, l’étaient-ils autant portés sur le jupon par exemple ? Et quid de l’hygiène à l’époque ? Du mariage du parfum avec une peau peut-être moins nette, avec des cosmétiques différents et dans des villes moins propres, aux pollutions autres. (Pensez Crottin de cheval à la place de gaz d'échappement par exemple.) Sentir Le Jardin de Mon Curé Belle France ou Cyprisine, ne suffit pas à nous faire revivre les dernières années du XIXème siècle. Seul un coin du voile est levé mais le mystère reste. Comme toujours, quand on creuse un peu, quand on apprend, on se rend compte qu’on ne sait pas. Mais c’est bien, ça laisse encore place à la rêverie.

Bref, affaire à suivre...


Commentaires

  1. Bonjour Dau,
    moi aussi j'aimerais pourvoir sentir les parfums plus anciens repesés de plusieurs Maisons puisque je trouve qu'il y a toujours une "patte-maison". Mème après reformulation je retrouve cette patte dans les jus classiques de Guerlain et je la retrouve également dans les jus de Chanel. Ce sont des effluves de matières qui se mélangent toujours de façon semblable dans chaque firme et qui deviennent évidentes au fur et à mesure que je sens des parfums d'une maison o d'une autre. Cette différence est mème présente quand je compare Chanel 5 et Liù, l'idée est similaire le résultat semble s'apparenter et pourtant on voit que le travail est tout autre, que la patte Chanel et la patte Guerlain sont bien différentes.
    A bientôt!
    Sara

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