sexuel

"Tout nous semblerait immobile si un attrait sexuel ne nous faisait courir…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, la prisonnière, 1923.

En public, les perfumistas sont poètes, élégants, élégiaques et délicats. Des pensées profondes les habitent, pleines d’envolées lyriques et de grands sentiments, de réflexions sérieuses sur les formes artistiques et les différentes écoles. En privé, en petit cercle, c’est autre chose et on joue souvent à évaluer la sexualité des parfums. De façon assez nette, assez crue et pas du tout poétique. Oubliée l’élégance et la sensualité bon chic bon genre, l’enveloppement dans les étoles de cashmere et place à ce qu’il convient de nommer le cul. En vrai, le perfumista est un grand gosse comme les autres, sauf que tout ça tourne autour de son obsession préférée, ses flacons…

C’est un peu la faute de Guy Robert qui disait que dans son élégantissime Calèche, il avait mis une note sale de "femme qui se néglige." Ce qui n’est pas faut. Dans notre esprit, Calèche est devenu le parfum de la femme élégante, allure un peu raide, qui est prête à tout et qui n’a pas mis de culotte, parce que c’est plus pratique pour tirer un coup vite fait d’un simple relevé de jupe. Je pense bien que la plupart des douairières en Calèche ne voient pas les choses comme ça… Maintenant, elles sont prévenues.

Toujours la faute de l’industrie, mais quand on mets un maximum de notes animales dans un parfum, peu importe qu’on y ajoute d’élégant aldéhydes et quelques jolies fleurs, même quand on est la respectable madame Lanvin, si on appelle ça Mon Péché, il faut bien s’attendre à ce que des années après la cessation de production, on continue de délirer sur cette duchesse qui sort de derrière un rideau et s’éloigne discrètement mais ne parvient pas à cacher les traces blanchâtres qu’un époux qui n’est pas le sien a laissé sur sa robe de bal. Monica Lewinsky n’a pas tout inventé. 

Il y a le concept de « salope frigide » qui fonctionne très bien avec les iris un peu verts et un peu froids, type Bas de Soie (Lutens) ou N°19 (Chanel), ces parfums tellement à l’opposé du sexe qu’ils y font forcément penser, mais sur un mode cérébral passablement tortueux. À vrai dire, on pense beaucoup à la walkyrie/beauté froide-glacée-glaciale qui manie le fouet ou le raisonnement intellectuel pour mettre sa proie à sa merci. Si c’est votre genre, la brûlure par le froid fonctionne très bien. Croyez-en mon expérience. (Je n’ai jamais reçu autant de propositions indécentes que lorsque je portais des parfums de cette catégorie.)

N’oublions pas dans les parfums d’après l'amour : Mouchoir de Monsieur (Guerlain), vieux beau qui sort de chez les filles, Moustache (Rochas) qui vient de prendre une Golden Shower, et Kouros (Yves Saint Laurent) l’hypocrite qui refait le lit mais ne change pas les draps. Son savon ne trompe personne, par  dessous, on perçoit la  sueur et la sodomie entre potes de vestiaire.

À côté, les fleurs blanches, toutes "nichons au balcon" qu’elles soient sont presque sages. Certes, Fracas est décolletée jusqu’au nombril, mais tout occupée à faire son show, la belle tubéreuse hystérique n’est pas une consommatrice. De même la plupart des parfums sexy modernes font souvent pâle figure face aux anciens. La marchandise est exhibée Mais ça ne va pas beaucoup plus loin. L’exhib pure et simple ne fait pas rêver, ne laisse aucune place à l’imagination. Musc Ravageur (Frédéric Malle), les Narciso Rodrigez for her, Musk de Kiehl's, et autres joyeusetés pornographiques montrent tout joyeusement épilées, de façon pornographique et chiante. La sensualité affichée, en fait, c’est très ennuyeux. On revoit la même scène en gros plan, encore et encore. Et on s’ennuie. Les acteurs changent mais pas le scénario…

Alors que les anciens, souvent… Regardez Madame Rochas, avec sa lavallière toute sage… Vous ne trouvez pas que sa jupe plisse bizarrement aux genoux ? Et pourquoi s’essuie-t-elle le coin de la bouche avec son mouchoir de baptiste ? (Il faut TOUJOURS soupçonner les bourgeoise sage du pire! Toujours.)

Bref, vous voyez, les perfumistas sous leurs airs respectables sont des gens comme les autres et parlent parfois "un peu brut de décoffrage" malgré leurs chichis.* Mais vous ? Vous pensez aussi aux histoires de fesse quand vous débouchez un flacon ? Et vous en parlez?



*Je dirais même plus, parfois, le perfumista est une grosse cochonne. Mais, chut, ça reste entre nous!

Commentaires

  1. Bon après-midi Dau,
    En réponse à votre question: Oui, décidemment je pense aux histoires de fesses quand je teste un parfum, ou quand je "déflaconne". Il faut dire aussi que je trouve qu'il est bien plus facile de laisser voler l'imagination en humant un parfum vintage, complexe, avec ses relents de puanteur pas toujours évidents qu'en sentant des jus actuels (mainstream ou niche) trop plats, trop simples avec des pyramides olfactives courtes ou écourtées à cause des contraintes légales.
    Très cordialement,
    Sara

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  2. Je dois préciser qu’il y a des parfums modernes qui me font également penser aux fesses, pour moi moderne n’est pas nécessairement l’équivalent de plat ou simple.

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    1. Bonjour Sara, je suis bien d'accord mais le recours systématique (quasiment) aux matières animales dans les anciens, joue plus en faveur d'un imaginaire sexuel que les muscs blancs ou les bois ambrés, c'est surtout dans ce sens que je boude un peu les modernes, clairement plus "propres"

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  3. "Kouros (Yves Saint Laurent) l’hypocrite qui refait le lit mais ne change pas les draps. Son savon ne trompe personne, par dessous, on perçoit la sueur et la sodomie entre potes de vestiaire."
    Le skatole! Pourquoi n'y avais-je pas pensé, tout concentré sur son encens blanc et sa civette.
    J'adore l'encens blanc. Il fournirait l'absolution ici?
    Je me demande si la version ancienne palierait aux défauts de la version actuelle : mais les miniatures que j'ai acheté se rapproche de dioressence, qui se rapproche de jicky, qui etc.

    As-tu senti "Gold" d'Amouage, de préférence en extrait? Car de calèche à mme Rochas, c'est bien le même parfum retravaillé par Guy Robert, avec un fond digne d'une cathédrale tellement il y a de l'encens. La version vintage est très étrange, à la place de 5mn de notes de tête tu as 5mn de notes animales (ambregris?) avant que le jasmin -facette "essence gazoil"- et la rose retrouve un visage reconnaissable.

    Il y a Musk Koublaï Khan, qui sent comme mes couilles. Alors, d'un sens je suis flatté. Je suis mon propre producteur de musk qui sent bon et que les femmes achètent alors?

    Il y a des parfums féminins qui m'évoquent les collants féminins portés : certains accord mousse de chêne (pas à la guerlain avec du cèdre), ou "dans tes bras" qui a un côté très "ma tête entre tes cuisses".

    Les version extrait ancienne du no19 ne sont pas la femme de bureau BCBG d'aujourd'hui : rien ne vient obstruer l'axe vertical, c'est une profondeur nimbé qui mène de notes verte en note verte, avec une rose souriante et un encens lumineux. (galbanum, feuille de violette, rose, jasmin caché, vapeur de serre, ambre limpide, encens encens, mousse de chêne)
    Actuellement Chanel fait l'effort de mettre des musc synthétiques qui coûtent cher dans leurs flacon. Ca les signe, mais ça ne les sauve pas dans leur reformulation actuelle.

    J'ai un manque d'xp en odeur féminine : est-ce que Womanity sent vraiment la femme?
    C'était pas dit texto, mais quand on parle de figue, de salé iodé, et de caviard (terme SM pour le caca de la dominatrice), je ne peux m'empêcher de songer "bon, on nous vend une odeur de moule, koi".

    "Bouquet de faunes" (guerlain introuvable) est très bien lui aussi, c'est une sorte d'odeur de bouc, de fromage de chèvre salé (chavroux(R) ), qui tire vers du Jicky.

    Tu as lu l'article du blog "raiders of the lost scent" sur "my sin"? L'auteur a été invité par un spécialiste de la spectographie de masse en phase gazeuse. Le charnel est rendu par une qualité de rose seule. (alors qu'elle a presque une tonalité de tubéreuse) Un jasmin spé aussi. Et surtout il est dit que les notes animales sont tellement lourdes qu'en fait elle ne se dégage pas, ne sont pas visible sur l'analyse, mais qu'on les sent bien sur la touche.

    Quelques mot sur l'hyraceum, sur "musc tonkin"?

    No18, paradoxalement, vers la toute fin, récupère de l'ambrette et de la fève tonka quelque chose de sale et d'enfiévré, presque "fèves de café torréfiées", qui déjoue tout le côté propret du reste. Il ferait un excellent déodorant féminin, car il se marie bien avec le cracra.

    Je ne sais pas ce que je porte de plus "post coital" comme parfum. Ca va me revenir.

    Je seconde Sara : On voyage beaucoup moins avec les parfums actuels.
    Peut-être moins à cause des restrictions, des reformulations et du "goût actuel", qu'en vérité à cause du manque de suggestion : ce sont des parfums trop directs, qui cherchent à séduire en 2mn car le client se décide sur les notes de tête sans essayer toute une journée, quand on est dans l'épate on n'est pas dans l'érotisme.

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    1. Bonjour,
      Pour Amouage Gold, je le porte régulièrement et on est bien dans cet axe Calèche, tout à fait. Plus animal est le Gold Man, que je n'ose porter il est beaucoup trop animal pour moi, l'enrobage est moins présent, plus charnel et plus sensuel, il est un peu "trop" pour moi. Pas que sa forme me dérange, mais ce n'est pas mon genre.

      Bouquet de Faunes, j'en ai un petit peu (repesé) et Patrice de Musque-Moi l'a renommé Bouquet de Founes: c'est exactement ça. Avec ce génie de Jacques Guermlain qui fait que ce parfum reste "portable" comme My Sin d'ailleurs. Là ou certains modernes sont plutôt dérangeant dans une certaine crudité. (Je pense à l'Absolue pour le Soir de F kurkdjian.)

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    2. Dans les version ancienne de Gold man, le mimosa est bien plus enrobant. Cela dit, les notes animales irradient encore plus.

      J'ai failli acheté "absolue pour le soir". Mais quand j'ai retesté mes échantillons, pour la version légère, et pour l'EDP, j'étais déjà lassé. Il se pose très vite sur la peau et devient trop monobloc.
      Je lui préfère n'importe quel autre bon patchouli : bornéo, dior homme intense/ou/parfum, habanita, ..., bal à versailles, ...
      Absolue pour le soir remplit tout de même son rôle : donner l'impression qu'on ne s'est pas lavé.

      Il y a aussi "M/Mink" chez Byreido, que je n'aime pas. Il sent pour moi l'urine et la pastique de javel des WC. Même s'il est bien assemblé, ça me hérisse de voire des gens l'acheter au premier degré, comme une odeur de pin. Les gens qui ont acheté l'urinoir de Duchamp savaient qu'ils achetaient un urinoir et le manifeste qui va avec.

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    3. M/Mink, pour l'avoir un peu porté (échantillons) n'est pas inconfortable, son aspect synthétique peut même plaire. (Il y a vraiment des gens qui sentent le pin? Ils ont trop sniffer leur bidon de javel, je crois!) Mais pour moi, il fait partie de ces oeuvre d'art comme les plasticiens divers en font, quasi sur commande, juste pour une galerie ou un musée, le genre de chose qui n'ira jamais chez les vrais gens, qui ne les touche pas, ni ne les intéresse. en fait, il sert à donner une crédibilité "arty" à une ligne un peu banale, comme c'est souvent le cas. c'est un effet très "Comme des garçon" sauf que Comme des est dans une démarche "art contemporain" depuis le début et n'essaye pas de vendre de la banalité sur le côté...

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  4. La fille de Berlin qui me fait penser au sang et à l'entre-cuisse d'une femme dans ses jours "rouges"où des fois le désir sexuel est si pressant! pour moi une référence plus évidente que "Sécretions Magnifiques" par exemple. Puis il y a des jus comme For Her, un parfum pour coucher avec, surtout avec l'Eau de toilette, et le côté vraiment sale de Narciso, qui m'inquiète, ne me plait pas particulièrement, me dérange et pourtant je ne cesse de le humer quand je le porte.
    Cordialement,
    Sara

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  5. Sara,
    Vous avez raison, on oublie trop cette Fille de Berlin, pourtant belle, et sa rose à la fois métallique-sanguine et capiteuse. Elle est à la fois évidente mais pas trop. Je trouve que c'est une véritable réussite moderne de ce côté-là. J'aime beaucoup son personnage que je trouve à la fois ingénu, paré d'une certaine innocence blessée, et complexe, ayant vu beaucoup de choses, trop, très instruit, très au fait, très "savant".

    For Her, je valide également, d'autant qu'il est assez habillement fait, il réussi à être clair mais sans choquer, un parfum qui sent plus la maitresse que l'épouse légitime.

    Vaste sujet...

    à bientôt

    DAU

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