princesse

Pour moi, à me figurer cette identité de titre, de nom, qui faisait qu’il y avait encore une princesse de Guermantes et qu’elle n’avait aucun rapport avec celle qui m’avait tant charmé et qui n’était plus, qui était comme une morte sans défense à qui on l’eut volé, il y avait quelque chose d’aussi douloureux qu’à voir les objets qu’avait possédés la princesse Hedwige, comme son château, tout ce qui avait été à elle et dont une autre jouissait. La succession au nom est triste comme toutes les successions, comme toutes les usurpations de propriété ; et toujours sans interruptions viendraient, comme un flot, de nouvelles princesses de Guermantes, ou plutôt, millénaire, remplacée d’âge en âge dans son emploi par une femme différente, vivrait une seule princesse de Guermantes, ignorante de la mort, indifférente à tout ce qui change et blesse nos cœurs…

Nina, l'air du temps, fleur de fleurs

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le temps retrouvé, 1927.

Dans la société des parfums, il me semble que les rôles princiers échoient tout naturellement aux parfums Nina Ricci. Ils ont la délicatesse aristocratique  et la beauté noble qui convient au caractère avec ce charme qui n’est pas celui de la femme fatal sans être non plus celui de l’ingénue. À sa naissance l’Air du Temps a été le parfum des jeunes femmes, ce n’est que par après qu’il est devenu le parfum des jeunes filles, mais en 1947, les jeunes filles ne se parfumaient pas, elle n’avait droit qu’à un peu de cologne, le parfum était l’apanage des dames.

C’est un beau bouquet, dominé par l’œillet, plus qu’un soliflore œillet, et je perçois nettement des nuances d’Ylang Ylang. Non pas que cette fleur vienne dénaturer la note œillet, mais elle lui apporte un aspect solaire qui fait que, pour moi, l’Air du Temps est un parfum estival, un parfum des beaux jours, un parfum de bonheur, dont j’ai toujours une féroce envie lorsque vient le printemps. (En vrai, je devrais parler de salicylate ais le terme n’est ni très joli, ni très évocateur, non ?) Très connoté dame, il comporte au départ une bonne dose d’aldéhyde qui lui assure l’indispensable chic de l’époque avec mise en plis soigneusement laquée. Ce qui le rend jeune, c’est plutôt le fond qui évite de sombrer dans l’animal, le lourd, le gras, une certaine idée du riche, comme beaucoup de ses contemporains. L’Air du Temps a de la présence, du sillage, de la tenue mais n’est jamais véritablement étouffant, ni ouvertement sensuel, il se démarque et paraît effectivement plus jeune, plus moderne par sa transparence qui lui donne des airs un peu éthérés, plus jeune princesse héritière que reine régnante.

Et puis, peu à peu la réclame l’a orienté vers un public de plus en plus jeune, un public de nymphettes David Hamiltonisées, ce qui a conduit à son inévitable démode, lorsque les temps ont changé et qu’on a refusé cette imagerie désuète.  Peut-être son prestige serait-il demeuré intact sans cet épisode. Peut-être aurait-il disparu sans ça. Qui peut dire ? Mais c’était assez joli et séduisant malgré tout.

À chaque fois que revient la belle saison, je le retrouve avec joie et prends un incroyable plaisir à le porter, à le redécouvrir. Ce n’est pas un parfum très complexe, dont l’évolution émerveille comme peut le faire celle d’un Mitsouko, non, c’est juste la magie d’une aura qui se développe autour de moi, très fine, très ciselée. Ce n’est pas pour moi un parfum d’intérieur, de salon. Je le trouve merveilleux dans la promenade, à l’air libre, lorsque le vent joue avec lui, l’éparpille, le disperse, et le ramène enfin vers moi, à la façon d’une longue écharpe de mousseline qui mènerait sa vie en toute indépendance mais finirait toujours par revenir autour de mon cou.
Je le trouve lumineux, radieux et je comprends qu’il ait séduit après la guerre, qu’il apportait ce sentiment de paix retrouvée, de promesse de jours meilleurs. Un sentiment qui me paraît tout aussi indispensable aujourd’hui qu’en 1948. L’Histoire pourrait faire passer l’Air du Temps pour un naïf, je préfère croire que c’est lui qui aura raison et que les lendemains chanteront.  

L’Air du Temps, Francis Fabron pour Nina Ricci, 1948.

NB: Tout ce texte doit être lu au passé, les restrictions sur l’eugénol ayant tué l’Air du Temps. Celui qui porte ce nom de nos jours est un parfum toujours fort joli mais bien différent de celui que je considère comme le véritable Air du Temps.

Commentaires

  1. Bonsoir Dau,
    Comme je vous disais hier, c'est maintenant que je me plais à porter l'Air du Temps en tant que parfum cocoon. Quand j'étais plus jeune c'est Fleur de fleurs que j'affectionnais. C'est une senteur que je n'ai jamais oubliée, savonneuse, propre, si délicatement florale... qui me seyait à merveille. Et puis Nina Ricci a décidé d'interrompre Fleur de fleurs, ce qui est bien dommage.
    Cordialement,
    Sara
    P.S.: Il fait 42 degrés, je ne suis pas capable d'écrire davantage...

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  2. Je vais me parfumer de L'eau de fleurs d'oranger de l'oncle Serge...

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  3. Chère Sara,
    Il fait beaucoup trop chaud, mais moins quand même, ici aussi et je vis une vie ralentie, presque larvaire, où je m'économise...
    J'ai un peu de Fleur de Fleurs et je le trouve joli, mais moins sophistiqué que l'Air du Temps, plus jeune fille peut-être? Cela dit, je trouve qu'il y avait une belle unité dans la famille Ricci, très gracieuse et délicate.

    En ce moment, je survis grâce à des colognes....

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