l'argent n'a pas d'odeur...

"Je savais que ce qui pouvait le plus ennuyer Françoise c’est que je dépensasse de l’argent pour des gens qu’elle n’aimait pas."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

L'argent n'a pas d'odeur.
l'or oui!
Amouage Gold

Parler argent et parfums m’ennuie toujours un peu car invariablement, on obtient les mêmes jérémiades "ça coûte cher, trop cher!" dites d’un ton absolument pathétique. Pour peu, on se croirait revenu au XVIIIème siècle, quand on accusait les spéculateurs d’affamer la population en stockant le blé pour vendre à meilleur prix. Sauf qu’on parle de parfums. Pas d’une denrée indispensable à la survie. Bien sûr, il y a toujours une bonne âme pour vous monter ce que vaut réellement un parfum en faisant une équation très simple :

Prix des matières première + prix du flacon = x

Prix du parfum = x + le bénéfice réalisé par la marque + le salaire de Julia Roberts.

(Admettons qu’on parle de la vie est belle, cet exemple n’est pas pire qu’un autre.)

Mais non, là, je ne suis pas d’accord. Oui, c’est peut-être bien de parler du salaire de Julia Roberts, mais ce n’est pas le seul qui soit payé avec vos pauvres sous durement économisés. Demandez à la vendeuse (ou au vendeur) si elle travaille par amour de l’art ou si elle doit manger et se loger, je pense que vous serez déçu par la réponse si vous vous imaginez que sa vocation est de vous faire plaisir par amour désintéressé du Beau. C’est amusant, d’ailleurs, parce que ce raisonnement ne s’applique pas pour tout: ça ne viendrait à l’idée de personne d’estimer le prix d’un livre en se basant juste sur le prix du papier et de l’encre. Ou de juger qu’un tableau de maître ne vaut que le prix de la toile et des couleurs…

Opium, délibérément plus cher pour un positionnement "luxe"

Quand Saint Laurent a lancé Opium, le prix a délibérément fixé 30% plus cher que le prix moyen pratiqué à l’époque. Et de nos jours, nul doute que d’autres fasse pareil dans une course effrénée au luxe puisqu’il y a toujours des gens pour acheter. Et alors ? Personne ne nous force à acheter au prix fort. Si le système fonctionne, c’est grâce à nous. Et parfois, je me dis que non, je ne dépenserai pas autant d’argent pour un parfum. Parce que je peux trouver plus beau pour moins cher. Ou que je peux survivre sans CE parfum précis, aussi joli soit-il. Mais je n’en veux pas vraiment aux gens qui essayent de me le vendre à prix d’or, ils font leur boulot et c’est toujours à moi que revient la décision finale, pas la peine de jouer les victimes. Franchement, il y a des causes qui méritent plus qu’on s’y attache que celle-là, non ?

Quant au rapport-qualité prix, j’ai juste envie de me marrer doucement… Vous vous basez sur quoi pour l’établir ? Parlons du cinéma : dans un complexe ou tous les films sont au même prix, comment déterminez-vous le rapport qualité-prix ? Est-ce que c’est le film qui dure le plus longtemps qui est le meilleur parce que vous êtes plus longtemps dans le cinéma à profiter de votre siège et du chauffage et tant pis si vous vous ennuyez? Ou est-ce le film qui a coûté le plus cher à la production parce qu’il est rempli d’effets spéciaux très coûteux même s’il est ennuyeux? Ou encore celui qui, quasiment sans décors et acteurs connus, grâce à un bon scénario et des répliques brillantes vous fait passer un très bon moment? Pour le parfum, je parle plus en termes de rapport prix-plaisir personnellement. Que la matière première coûte cher, je m’en fiche un peu, j’aime mieux qu’elle soit belle. Que ça dure longtemps ? Pas très important non plus : j’aime la fraîcheur et les hespéridés, je trouve ça jouissif et je n’attends pas que ça dure, je sais que ce n’est pas possible sans figer le parfum, sans le faire grincer, sans l’enlaidir, en fait. Porter de l’oriental parce que ça a du sillage et de la tenue ? Oui, pourquoi pas, mais je n’aime pas vraiment les orientaux, ils m’ennuient et je me sens déguisés… En plus, puisqu’on parle de qualité, je trouve souvent ça un peu lourdingue les  sillages et les tenues d’enfer (Tiens, c’est le moment de reparler de la vie est belle, mais pas que de lui…), pas très fins, pas très subtils, pas très qualitatif, justement. Mais c’est un point de vue très personnel.

Enfin, tout ça pour dire que je trouve la discussion parfois un peu oiseuse et que chacun peut faire preuve de mauvaise foi. D’autant que c’est si facile de voir la paille dans l’œil de l’industrie qui nous exploite, qui nous spolie, même si c’est avec notre consentement, non?