happy at work

“Il plaça sur sa table de travail, comme une photographie d’Odette, une reproduction de la fille de Jéthro.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Vous avez peut-être vu sur Arte un reportage sur "le bonheur au travail." On parlait de moi. De l’endroit où je travail. La Sécurité Sociale belge. Vision idyllique qui pouvait faire envie. Sauf qu’en vrai, je ne suis pas, moi, heureux au travail.

Mon univers quotidien, c’est le dynamic office. Sur de vastes plateaux, sans aucune cloison, murs gris et moquette grise, des rangées de tables blanches, nues. Chacun s’assieds ou il peut, ou il veut, et va chaque matin chercher son ordinateur portable et toutes ses petites affaires dans son casier et va les remettre en place le soir. C’est le règne de l’inhumain. La dépersonnalisation la plus complète.

Interdit de mettre quelque chose au mur. Interdit de mettre une plante en pot quelque part. Perte de contact avec des collègues qu’on ne peut aller trouver car on ignore où ils sont. Aucun droit à l’intimité : tout se voit et tout s’entend. C’est un réflexe, que j’ai aussi, quand quelqu’un bouge, on lève la tête. Impossible d’avoir une conversation vraiment privée. De passer un coup de fil vraiment personnel.

Oui, tout est moderne, tout est neuf. Oui, j’ai pu choisir le fond d’écran de mon ordinateur. Mais "happy at work" comme on dit ici, non, ce n’est pas pour moi. En soi, ce n’est pas vraiment un problème, j’ai toujours considéré que je travaillais parce que j’avais besoin de manger et non parce que ça m’amusait. Je peux très bien vivre en étant un pion, en sachant que j’en suis un, mais tant qu’à faire, j’aimerais qu’on ne décrète pas pour moi que je suis heureux. Qu’on ne décide pas que ce qui est fait me rend heureux. Je suis adulte et je n’ai pas besoin de ce paternalisme infantilisant.

Tous les matins, mon premier geste, c’est de sortir mon flacon de parfum de mon sac. De le poser sur le bureau. Comme on marque son territoire. Pour créer un environnement, un univers, qui me corresponde, au moins olfactivement. Et sous des regards parfois ébahis, je me parfume en cours de journée. Je redeviens moi. Parfois, on n’a pas grand-chose pour se rappeler qu’on est un être humain.

Commentaires

  1. Mon Cher Dau,
    vraiment je ne sais pas bien comment vous répondre tellement je trouve cette situation deshumanisée. En tout cas j'ai tenu ma promesse et je vous ai envoyé ainsi qu'à Ambre Rouge mes récits parus dans les deux volumes de "Mujeres en la Historia" 1&2 (Les femmes dans l'Histoire). Celui concernant J.Baker avec partitions de chansons incluses!
    Très cordialement,
    Sara
    P.S.: Ambre Rouge, je vous ai envoyé également le récit sur Liu de Guerlain paru dans le volume "Paris".

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    Réponses
    1. Bonjour Sara,
      J'ai bien reçu vos récits : il ne manque plus qu'à retrousser mes manches et constater si j'ai beaucoup perdu (ou pas) en Espagnol...
      Encore merci
      Cécile

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