american bitch

“J’ai ma situation à faire, c’est le moment de gagner des sous!”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, la prisonnière, 1923.

aromatics elixir, Clinique
L’autre jour, je parlais parfums avec des amis, des personnes très délicates et d’un goût exquis, et nous nous disons quels étaient nos parfums respectifs. Il y avait Grand Amour de Goutal et le Dix de Balenciaga. J’étais en Aromatics Elixir. Tout d’un coup, j’ai eu cette impression d’être une american bitch débarquée au beau milieu d’une réunion de duchesses. Mais en soi, ce n’est pas désagréable. Et j’adore Aromatics Elixir, justement pour ça. Je trouve que c’est un parfum qui n’a pas peur d’affronter la réalité, de lui rentrer dedans.

Aromatics, c’est un peu la preuve que faire ce qu’on veut plutôt que ce qu’on s’imagine que les gens veulent est une stratégie payante. De Clinique, la marque sans parfum, obsédée par le nettoyage-exfoliation/décapage, la marque aux pots tout ce qu’il y a de plus aseptisés, on aurait pu espérer un parfum frais, léger, propre et net, au début des années 70, les verts, la fraîcheur donnait le ton en plus, et il prend directement à rebrousse-poil en balançant un chypre très marqué Lauder dans son fond qui lui vient de Youth Dew. C’est du lourd, du solide. Curieusement, quand on cite l’accord principal, rose-patchouli, on se dit qu’il ne fait pas son âge, qu’il pourrait être beaucoup plus jeune, plus moderne, c’est simplement plus emballé, plus riche, que ce qui s’est fait récemment. Le départ, très camomille était vraiment beau, il a un peu perdu en intensité, mais…

Au milieu des verdeurs seventies, sans campagne de pub, il s’est fait son chemin tout seul. Par le bouche-à-oreille. Si la blogosphère avait existé à l’époque, nul doute qu’il aurait fait un tabac sur le net. Lentement mais sûrement, il a gagné des fidèles, se propageant peu à peu et gardant son public d’afficionados. C’est le genre de parfum qu’on ne quitte pas, parce que les autres semblent un peu fades après lui, parce qu’il est une image de marque aussi, un sillage impressionnant qu’on reconnaît et qui est original. Je le croise régulièrement aujourd’hui encore sur des hommes et des femmes pas très jeunes. Il demande de la confiance en soi, il s’assume. Il ne minaude pas. Sa présence imposante est beaucoup plus autoritaire que celle des anges pour qui la vie est belle. Son absence de gourmandise l’éloigne radicalement du genre baby doll. Sur des hommes ? Beaucoup ! C’est l’un des premiers à avoir passé la barrière des sexes. Sa bouteille sans fioriture, l’absence de toute image autre que ce  flacon sur les rares clichés publicitaire l’ont probablement désexué… Toujours, ce sont des gens au style affirmé.

J’aime porter Aromatics Elixir pour aller au bureau. Pas parce qu’il est suitable for office selon un  politiquement correct qui veut qu’on s’efface alors qu’on pourrait être sublime, mais parce qu’il donne cette sensation de pouvoir conquérir le monde. Ou de l’envoyer chier. 

Aromatics Elixir, Bernard Chant pour Clinique, 1971.

Commentaires

  1. Bonjour Dau,
    J'ai découvert ce parfum par le plus grand des hasards, lorsque j'étais étudiante à Montpellier : en rentrant dans une petite librairie, j'ai été assaillie par une odeur que je ne connaissais absolument pas du tout et qui ne ressemblait à rien de ce que je connaissais. Au moment de régler mes livres, je demande timidement à la libraire quel était son parfum. J'ai eu de mal à me l'approprier mais une fois le pas franchi, j'étais complètement accro à "l'attaque de camomille".... Je crois que c'est le parfum, avec Bandit, sur lequel on m'a le plus interrogé lorsque je le portais....
    Je n'ai pas encore testé "Aromatics in white"...

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    1. J'adore sa façon de faire réagir! Bon, c'est aussi parce qu'il est très présent et que ce n'est pas un "parfum juste pour soi." Mais quand même, quel caractère!
      "C'est quoi votre parfum?" c'est quand même bien plus fort que les pubs!

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