fleur de feu

« Idole, elle doit se dorer pour être adorée »

Charles Baudelaire, éloge du maquillage, 1885.


« Je venais de la voir, passant entre une double haie de curieux qui sans se rendre compte des merveilleux artifices de toilette et d’esthétique qui agissaient sur eux, émus devant cette tête rousse, ce corps saumoné émergeant à peine de ses ailerons de dentelles noire, et étranglé de joyaux, le regardaient, dans la sinuosité héréditaires de ses lignes, comme ils eussent fait de quelque vieux poisson sacré, chargé de pierreries, en lequel s’incarnait le Génie protecteur de la famille Guermantes. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le temps retrouvé, 1927.

le précieux coffret Guerlain
Il y a des moments, rares, ou de vraies rencontres ont lieu entre perfumistas et parfums. Parce que c’est vous, parce que c’est lui, un coup de foudre immédiat, des étincelles… Moi, ça m’est arrivé chez Guerlain.(Billet ICI) Pas de bol, je suis tombé en amour pour un parfum disparu, une repesée, qui n’a aucune chance de repasser au catalogue un jour. Un de ces jours où une révélation qui devrait vous rendre heureux vous plonge dans un abîme de désespoir. Comme disait Alanis Morissette, "n’est-ce pas ironique, c’est comme rencontrer l’homme de ma vie et juste après sa merveilleuse épouse ?" Une ironie que je goûte assez peu.

Vivre en décalage avec mon époque est quelque chose que j’assume assez bien. Je traverse la vie en vestige du XXème siècle sans que ça me pose de souci. Je n’en tire ni fierté, ni honte, tout au plus un certain amusement. Mais parfois, c’est dur. Parfois, ça fait mal de voir constamment fouler aux pieds son sens de l’esthétique par l’époque au nom de la sacro-sainte Modernité. (Cette salope !) Parfois, c’est douloureux de voir ses repères périr sous les coups de la loi du marché (et de la mauvaise gestion), pénible de se réfugier dans la seconde main, l’occasion, la chasse au trésor alors que c’est si agréable de rentrer dans une boutique et de choisir dans le calme, feutré et élégant, d’une parfumerie bien achalandée. Enfin, feutré et élégant, c’était avant aussi, quiconque a déjà mis les pieds au Séphora des Champs-Élysées en conviendra. Et là, c’était le drame, découvrir une merveille alors qu’il était déjà trop tard. Ce moment où on se prend de plein fouet qu’on a raté son moment. Que notre âme s’est incarnée au mauvais moment dans le mauvais corps.

Fleur de Feu, Guerlain, repesé.
Et puis, le Destin (ou dieu), mais surtout une personne très gentille, m’a procuré un flacon de la merveille. (Là, faite une pause et détestez moi pendant 5 minutes, vous avez le droit.) Je peux donc maintenant porter à grande échelle, à hautes doses, la merveille. Pas trop souvent, certes, il faut que ça me dure longtemps.

Je ne vais pas vous décrire le parfum dans les détails, de façon objective, pour ça reportez-vous au billet d’auparfum (ICI, c’est moi qui l’ai écrit) mais laissez-moi vous parlez de la sensation, de la délicieuse sensation. Si pour Gold, j’évoquais un manteau de vison, pour Fleur de Feu, il me faut convoquer les pierreries dont parle Proust, l’or évoqué par Baudelaire, les aldéhydes n’ont jamais pour moi autant eu ce halo doré, digne de celui des saints sur les vitraux d’une cathédrale. Jamais parfums ne m’a semblé si lumineux et d’une façon aussi douce. A côté, le N°5 apparaît bien plus blanc et Arpège bien trop patiné et bruni.

Cette nuance de miel qui se marie aux fleurs pour soutenir la radiance des aldéhydes, c’est juste divin. Porter ce parfum, c’est se sentir divin d’ailleurs, avancer paré d’un éclat doré et fendre la foule qui semble bien terne. Lorsque je porte Fleur de Feu, je m’étonne toujours de ne pas laisser un peu de poudre d’or en trace sur les objets que je touche. Oui, le temps d’un parfum, je deviens un Génie protecteur, un vieux poisson sacré, chargé de pierreries.

Fleur de Feu, Jacques Guerlain pour Guerlain, 1948, repesé par Frédéric Sacone.

Commentaires

  1. Réponses
    1. Repesé, dans ce cas, et pour toute une série de parfum, veut dire que le parfum a été refait selon les formules d'origines avec des matières d'époque, dont celles qui sont interdites de nos jours pour des raisons diverses. (La plupart de ces raisons étant notre santé, hum... ) Donc il s'agit de parfums "pour l'olfaction uniquement" destiné à être sentis, non portés, et non destinés à la vente. (Puisque non conformes) Vous pouvez aller les sentir, sur rendez-vous, à la boutique Guerlain des Champs Elysées.
      On les oppose donc aux parfums toujours en vente mais modifiés (comme Mitsouko) ou au rééditons (comme Véga) sans pouvoir les mettre dans la case vintage puisqu'ils ne sont pas anciens avec tous les changements que cela peut impliquer: maturation, évaporation de certains composants, altérations diverses, etc...

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    2. bonsoir, merci d'avoir pris le temps pour me répondre.
      cdlt

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