encens sur soie

« Elle prisait davantage encore ce jeune homme dans la façon négligente et libre qu’il avait de vivre dans le luxe sans “sentir l’argent”, sans airs importants… »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

passage d'enfer, l'artisan parfumeur
Il y a plusieurs façons d’être luxueux. Certains jouent sur la surabondance, la qualité des matières en misant sur le foisonnement, le débordement, qui, un peu indécent souvent, vont parfois jusqu’à l’indigeste. Pour l’Artisan Parfumeur, Olivia Giacobetti semble avoir misé sur la trace, l’évocation, tout en restant dans la sobriété, en faisant le choix d’être « en retrait » pour une œuvre personnelle ou le luxe est celui d’une mise à distance choisie.

Passage d’Enfer m’a toujours entraîné au Japon : une pièce vide, dans le tokonoma, une fleur de lys dans un vase et sur le sol un kimono de cérémonie. Je me penche, le ramasse et pose mon nez contre le tissu pour respirer le parfum qui s’en dégage : l’odeur de l’encens qui a été brûlé lors d’une fête et qui s’est accrochée à la soie brodée. C’est un moment calme, serein, un moment pour soi ou il est possible de plonger en soi et de penser aux événements du passé, au tumulte et à l’agitation, mais de façon détachée, sans les vivre. C’est un luxe, celui de revivre les fastes passés sans en subir le poids, celui d’un dépouillement choisi, d’une place faite à l’imagination, au rêve, à la poésie. Passage d’Enfer est un parfum que l’on apprécie lorsqu’on y apporte de soi-même, lorsqu’on le rempli de sa propre poésie. Son dépouillement n’est pas une pauvreté, mais une place faite à notre richesse intérieure.

J’ai aimé ce parfum à en perdre la tête, je le portais constamment, en remettais régulièrement, par plaisir, à tout heure du jour et de la nuit. J’adorais le sentir sur moi, sur mes vêtements. Il me serait presque de signature, tant je changeais peu de parfum, c’était lui, ça ne devait être que lui. Et le drame s’est produit, je ne le sentais plus. L’anosmie complète. Pas seulement aux muscs blancs qui lui servaient de fond et le fixaient, mais à toutes les nuances du parfum. Ne restaient que l’odeur de l’alcool. Aujourd’hui, après l’avoir abandonné, je le redécouvre sur d’autres et il me transporte toujours autant. Je me dis que peut-être, je pourrais le reporter, mais…

Passage d’enfer, Olivia Giacobetti pour l’Artisan Parfumeur, 1999.

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