orgueil*

“La princesse d’Epinay, qui aimait sa cousine et savait qu’elle avait un faible pour les compliments, s’extasiait sur son chapeau, son ombrelle, son esprit.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1922.

S’il est bien une chose qui agace, c’est la chasse aux compliments à laquelle certains se livrent lorsqu’il est question de parfums, faisant du nombre de compliments reçus, le critère suprême qui doit guider le choix de la fragrance. C’est un peu triste parce que c’est l’abdication du goût personnel par mise en conformité au goût du plus grand nombre. Je suis peut-être snob, mais je n’arrive pas à me convaincre que le goût du plus grand nombre soit nécessairement le goût tout court.

Peut-être bien que je juge un peu durement cette attitude car je n’ai jamais réussi à prendre vraiment comme m’étant adressé un compliment sur mon parfum, y voyant surtout un hommage à la beauté d’une œuvre dont est responsable un créateur. Dans l’histoire, je suis tout au plus un support. Mais enfin, il faut dire que partir à la chasse aux compliments est assez facile.

Il faut commencer par choisir quelque chose qui sente fort parce que la plupart des gens ne viendront pas écraser leur nez dans votre cou pour renifler votre parfum, Dieu merci ! Donc du sillage. Souvent la simple remarque "tu sens bon" veut juste dire "tu es parfumé" et rien de plus. L’exemple sera mieux compris par les hommes, je pense : dire à un homme qu’il est "bien habillé" signifiant en général juste qu’il a fait l’effort de porter un costume, voir une cravate, presque jamais que son costume est bien coupé ou que la matière est belle. "Tu sens bon" relève du même type de réflexe et signifie juste que vous êtes parfumé.(Bien sûr, plus il y aura de gens qui remarquent votre parfum et plus vous aurez de compliments, mais plus il y aura aussi de gens pour se plaindre dans votre dos.)

Pour beaucoup de gens, mettre du déodorant, c’est déjà se parfumer. Avoir un flacon d’eau de toilette et penser à en mettre tous les matins est faire preuve à leurs yeux d’une incroyable sophistication. Prendre son flacon avec soi pour se parfumer en cours de journée les dépasse et posséder plus de 10 parfums différents est quasiment faire preuve de folie furieuse. Ne venez pas leur parler de beauté, de forme d’art olfactive, etc. Vous pensez vraiment que quand ils vous disent que vous sentez bon, c’est un vrai compliment fait à votre capacité de discernement, à l’excellence de votre choix ?

Et soyons honnête, j’ai beau être du dernier superstitieux avec mes parfums, jamais je n’irai penser qu’on m’aimera plus à cause d’eux. C’est un tort, j’en conviens, mais je vous jure que personne ne brûlera d’amour ou de désir sur la seule base de votre parfum. Si en le portant vous vous sentez magnifique, ça va aider, mais ça s’arrête là. Remarquez que ce n’est pas plus mal, quelle jeune épousée aimerait découvrir que son fringuant époux l’aime pour son Shalimar ? Et qu’il aime TOUTES les femmes en Shalimar. Plus quelques hommes...

Shalimar, Guerlain
version actuelle et vintage
Et si je parle de Shalimar, ce n’est pas par hasard, c’est parce qu’il est vanillé. La vanille, c’est la matière la plus racoleuse de la parfumerie. C’est magnifique parfois, mais même traitée de façon assez grossière, une vanille vous vaudra plus de compliments que des notes vertes. Ça doit être parce que c’est facilement reconnaissable, identifiable avec ce côté gâteau, que tout le monde ou presque aime la vanille. Ça rappelle l’enfance, le goûter, la danette… Les gens n’aiment pas être surpris, déstabilisé et la vanille est un terrain familier. Et souvent, ça sent fort : la boucle est bouclée.

Mais parfois, sans s’y attendre, sans le chercher, on reçoit des compliments. Et ceux-là sont une bonne surprise, assez agréable. En ce moment, le parfum qui fait de l’effet, sur moi, c’est le Geranium Odorata de Diptyque. Je me demande toujours comment ça se fait, parce qu’il me semblait un peu difficile, à la fois un peu médicinal de recette d’apothicaire, des notes rappeuses, rugueuses qui prennent à rebrousse-poil. Pourtant, les gens me demandent ce que je porte, s’ils peuvent l’essayer, et se parfumer avec.
Geranium Odorata, Diptyque
(Autour de moi, on sait bien que j’ai toujours mon flacon du jour à portée de main.) Les échantillons que je distribue font des heureux à grands sourires. Ça me fait plaisir, vraiment. Pas pour moi et sans orgueil, mais pour le parfum, parce que je l’aime et que je lui souhaite une belle carrière. Parfois, il faut savoir rester humblement derrière son parfum.


 *Ce billet fait partie d’une série consacrée aux 7 péchés capitaux revus à la mode perfumista.

Commentaires

  1. Bonjour,
    Vous m'avez fait rire avec vos propos, pourtant si justes !
    Pour ma part, je fais fi des remarques négatives sur le choix de mes parfums; l'important étant le plaisir qu'ils me procurent. Qu'ils plaisent ou non, j'assume mes nombreux flacons (eh oui, moi aussi je suis folle !). Et je n'attends pas spécialement de compliments quant à eux, ce n'est pas le but premier de mon parfumage !
    PS : j'adore vous lire !
    nathalie

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    1. Merci, Nathalie. Bah, soyons fous, tant que ce n'est que du bonheur, en attendant, que les jazzeurs jazzent et que les phraseurs phrasent...

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  2. Mon Cher Dau, bonjour,
    Comme d'habitude je vous lis avec un grand plaisir et je me rends compte que l'Espagne c'est autre chose. Evidemment il y en a qui portent des parfums sucrés mais un parfum sucré, capiteux, envahissant, dérange et ne séduit personne, et personne ne fait le compliment. Toute petite, jeune fille et jeune femme j'ai entendu répéter mille et une fois qu'il est de mauvais ton de pénétrer l'espace d'autrui par une senteur trop forte car c'est un manque de respect. Il est vrai que les nouvelles générations aiment se parfumer à la vanille, mais c'est surtout la vanille "Mercadona" ou "Ahorramás" (supermarchés) qui ne sont jamais trop sucrées et qui coûtent 2'99 (100 ml) et donc abordables pour les tout petits budgets (et pas nécessairement dégueulasses). Sinon serait des eaux de colognes (il y a bien des ados qui continuent à se parfumer au « Nenuco »), ou des eaux fraîches. Les jeunes gens qui veulent emprunter à leurs parents un parfum quelconque recherchent un sent-bon frais, et préférablement vert, ils n'ont aucun problème avec l'Eau d'orange verte d’Hermès, ils pourraient en consommer des litres, parce que cela sent bon et frais. Plus vieux ils choisissent l'Eau de Rochas, l'Eau de Lancôme et Le Jardin sur le Nil.
    Que dire des grands parfums verts ou des aldéhydes ? Il y a des familles entières qui ne jurent que par le Nº5, Calèche, Rive Gauche ou Calandre, d’autres qui préfèrent un floral délicat comme l’Air du temps, des familles comme la mienne composées d’amants de l’Eau de Lancaster, de l'Infusion d'iris, du Nº19 (poudré ou pas), de L'eau de Campagne, du Vétyver de Guerlain, et d’autres familles encore qui ne supportent que les grands chypres, ce qui explique « l’amour à la folie » qui entoure la maison Sisley surtout en ce qui concerne l'Eau du Soir.
    Les espagnols ont des idées très claires en matière de parfum :
    - Vert ou Chypre ou aldéhydes ou floral délicat = propre (femme).
    - Tubéreuse ou Jasmin = séduction (femme)
    - Fougère ou bois + épices = homme
    - Agrumes ou Fleur d’oranger = petits enfants
    - Sucre, caramel, chocolat = grossier, peu élégant
    Très cordialement,
    Sara

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  3. Bonjour Dau, bonjour Sara,

    Je vais d'abord rebondir sur votre commentaire Sara: à la lecture de votre texte, on a tout de suite envie de vivre en Espagne tant les gens apparaissent civilisés. Intégrer le respect de l'autre et de son espace vital (qui est aussi olfactif) que de belles valeurs qui font souvent défaut ailleurs. Vous êtes donc à l'abri des sillages nucléaires de ces bombes de sucre devenues légion... Ne pas bouder les aldéhydes, les verts, les colognes fraîches et les chyprés traditionnels....que du bon goût et du bonheur.
    Et concernant la question des compliments et de la recherche de sillage en lien avec les premiers, je suis d'accord avec vous Dau, il y a dans cette vision un conformisme navrant et sans doute un manque d'assurance puisque les choix doivent être validés par les autres et souvent par des étrangers puisque nos proches nous sentent de plus près. Je trouve aussi désolant l'équation faite entre le nombre de compliments et la beauté ou non d'un parfum. La perception du principal intéressé, le porteur du dit parfum, est reléguée à l'arrière-plan, devenue totalement secondaire dans un tableau qui doit être public pour exister. Je ne sais pas si l'on peut placer ce phénomène dans la même catégorie que l'exhibitionnisme du Web: on me voit faire n'importe quoi, imbécilité ou pas, donc j'existe. Pourtant, se parfumer pour soi, sentir les effluves de sa fragrance en petits moments brefs lorsque la brise vient chatouiller la nuque, porter discrètement son poignet à son nez pour capter la douce finale des notes de fond...cela vaut tout les sillages d'un "voilà j'arrive et je vous impose mon parfum sucré-chimique mal de tête ou nausée garantie".
    On peut parfois avoir envie de briller, mais il y a des moments pour cela et la rareté de l'exubérance alors mise en scène garde à cette circonstance sa beauté.

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  4. Ma chère Hermeline,
    Le mauvais goût existe en Espagne comme partout dans le monde mais il est vrai, je l'ai écrit à plusieurs reprises, que l'éducation espagnole est stricte sur le chapitre des odeurs. Les espagnols s'intéressent énormément aux senteurs mais les bombes sucrées ne se vendent pas. Ceci dit il y a nombre de parfums/senteurs qui n'ont aucune importance en Espagne:
    La Petite Robe Noire vendue de façon presqu'exclusive à Barcelone. A Madrid, rien, cela ne fonctionne pas et pourtant la boutique Guerlain et les comptoirs Guerlain font de leur mieux. Celles qui aiment les sucrailles préfèrent Lolita Lempicka éponyme.
    Shalimar Parfum Initial: un seul flanker a très bien fonctionné c'était l'Eau si sensuelle, évidemment cela n'existe plus.
    Tous les flankers de Dioraddict. Déjà Dioraddict se vendait peut, les flankers pas du tout.
    Les escales de Dior: la seule exception Escale à Portofino que les Madrilènes aiment beaucoup.
    Tous les flankers de J'adore, J'adore l'absolu fonctionne à peu près mais les chiffres ne sont pas fameux non plus.
    Armani: Si, Si intense, Acqua di Gioia et tous ses flankers, rien de rien, Diamonds, non plus, Armani Code elixir qui est le moins sucré se vend des fois...
    La Vie est Belle, on vend des copies de ce parfum qui sont beaucoup moins sucrées que l'original et les gens l'achètent à condition de payer 6'95 euros les 100 ml et ce n'est pas évident. Il faut dire que les copies ne puent pas comme le parfum d'origine.
    Angel on le sent parfois appliqué à petites touches sur des endroits choisis, personne n'a osé se perfumer en vaporisant l'air et en se faufilant sous le nuage comme les vendeuses ont l'habitude de conseiller (à ce prix, quelle folie et en temps de crise!!!). Alien: jamais senti sur personne. Womanity c'est comme si cela n'existait pas.
    Chanel: Chanel 5 eau première, ce n'est pas pour les jeunes filles, les gens qui l'achètent sont les mêmes qui achetaient Chanel 5.
    Coco Noir, Coco quoi?
    Allure Sensuelle, ni Allure d'ailleurs...
    Yves Saint-Laurent: rien de rien, surtout dès qu'Opium n'est plus Opium. Un seul parfum continue de se vendre et c'est Rive Gauche qui est fabriqué exclusivement pour l'Espagne.
    Paco Rabanne: rien, les espagnoles aimaient bien XS pour elle qui a disparu. Les Black XS pour elle personne ne les utilise.
    Et je pourrais continuer comme cela pendant des heures...
    Très Cordialement,
    Sara

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  5. J'avais oublié: évidemment, les femmes se parfumaient jadis de Miss Dior, Diorissimo et Diorella mais c'était avant la reformulation totale des parfums Dior ce qui nous mène vers cette horreur qu'est Miss Dior (avant Miss Dior Chérie et ses deux millions de flankers...) Les espagnoles ne l'aiment pas et si par hasard elles veulent tester le parfum elles ne savent vraiment pas si c'est un flanker ou un flanker d'un flanker et, ahuries, ont décidé d'oublier tous les Miss Dior du monde.
    Cordiales salutations,
    Sara

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  6. Chére Hermelin, et Chère Sara,
    Cette idée d'aller vivre en Espagne m'a traversé la tête plusieurs fois à moi aussi.Autres moeurs, autre culture mais qui me séduit également.
    Oui, bien sûr qu'il y a un manque de confiance en soi. Et peut-être une certaine paresse: c'est tellement plus facile de choisir ce qui est en tête des ventes, ce que tout le monde porte plutôt que d'explorer... Mais plus généralement, ce qui me frappe parfois, c'est le manque d'attention porté à la beauté, le manque de recherche. L'harmonie passe au second plan, tout me semble évalué en fonction d'un critère qui n'est pas le critère esthétique. J'ai parfois l'impression que les gens s'en fichent royalement. Dans une société qui exhibe beaucoup, on montre du statut social, de la pseudo-richesse, mais avec une pauvreté intérieure parfois complète sans aucun sens du beau. Il me semble que mes contemporains qui aiment tant l'image n'aiment pas la BELLE image. Ou alors leurs critères ne sont pas les miens et m'échappent complètement. Pourtant, nous sommes à une époque et dans des pays ou c'est assez facile, ou le beau est relativement démocratisé. (Notez bien que je parle de beau, pas de luxe.)

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  7. Sara,
    Petite confidence, il m'arrive encore de me parfumer au Nenuco!
    (Je suis un grand enfant!)

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