déception

"mes sentiments changeaient de minutes en minutes, passant de la crainte à l’anxiété ; de l’anxiété à la déception complète."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

Eau du Sud, Annick Goutal
flacon ancien et échantillons actuels
Crainte, anxiété et déception complète furent exactement les états par lesquels je suis passé cette semaine. La rumeur est arrivée jusqu’à moi et je l’ai constaté de mon propre nez : l’Eau du Sud  a été reformulée. Cette eau chyprée que j’aimais temps, que j’aurais glissé dans ma trousse de premiers secours tant elle était parfaite en toute circonstances et absolument jouissive n’est plus la même.

L’Eau du Sud était un départ d’agrume fabuleux, unissant joyeusement la bergamote et la limette avec cet effet joyeusement croquant, juteux, propre à la maison Goutal. Après, venait les traditionnels effets aromatiques-hespéridé et le fond classique des eaux chyprées. C’était merveilleusement juste, terriblement vivant. Proche de toute les autres eaux du même genre avec ce petit quelque chose qui la rendait inimitable, qui faisait que c’était elle et pas une autre.

La version actuelle, dans le joli flacon plus moderne, semble vidée de ce qui faisait le charme de l’Eau du Sud. Plus de départ. Une absence complète. La senteur de l’alcool, une impression de vide. Ensuite, l’aromatique verveine, des hespérides, très pamplemousse, et le fond classique. C’est très reconnaissable. Oui, c’est bien elle. Si on veut. Sans le plaisir. Sans l’originalité. Plate. Morte. Comme si à la place de minet qui vient vous faire un câlin, on vous mettait un chat empaillé sur les genoux.

Je me sens trahi. Désemparé. Abandonné. Je ne sais pas quoi faire. Vider mes stocks ? Chercher une remplaçante ? Mais ce ne sera pas pareil. Espérer qu’il s’agisse juste d’un lot mal produit ? Il parait que c’est possible, mais s’accrocher à une chimère n’est-ce pas se faire du mal inutilement ? J’avoue, vraiment, je me sens d’autant triste que la déception vient d’une maison que j’affectionne tout particulièrement. Je suis en deuil. 

Eau du Sud, Isabelle Doyen pour Annick Goutal, 1997-2013.

Commentaires

  1. Mon cher Dau,
    Je vais tester ici en Espagne, je vous tiens au courant. C'est une de mes senteurs préférées depuis que l'Eau de Campagne a été reformulée.
    Sitôt testée je vous dis quelque chose.
    Cordialement,
    Sara

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  2. Bonsoir Dau
    Si je me suis tournée vers des grandes maisons dites de niche, c'est que, premièrement, j'y trouve des parfums plus en adéquation avec mes inclinations olfactives, et qu'ensuite, je les pensais à l'abri des reformulations. Or force est de constater que malheureusement, cette "maladie" commence a les contaminer... Musc Koublaï Khan n'est plus que l'ombre de lui-même : on a castré et coupé les griffes du grand fauve. Certes, je ne pouvais pas le porter tel qu'il était avant car il tournait sur moi. Mais j'avais l'immense plaisir de le sentir sur quelqu'un de mon entourage sur qui il était magnifique. Et maintenant, je constate que Goutal s'y est mis aussi ? C'est le dieu profit qui fait ses ravages : Chez Lutens, surement pour plaire à un plus grand nombre tant son parfum effrayait pas mal de personnes. Et chez Goutal, je pense que c'est plus une question de productivité car je ne pense pas que l'Eau du Sud utilisait des matières proscrites par l'Union européenne.
    Triste époque vraiment...
    Bien à vous
    Cécile

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  3. Bonjour,

    Pour ce qui est des matières: bien sûr que ci, forte restriction sur la mousse de chêne (ça, on savait) et sur les notes de citron. Donc la réglementation pourrait justifier ce genre de chose. La réglementation et les reformulations touchent tout le monde, hélas. Il y a parfois moyen de faire ça très bien, comme c'est le cas de Guerlain avec son Mitsouko, c'est ça qui rend espoir. Lutens fait partie de ceux qui ne s'en sont jamais caché et il a déjà dit qu'il en profitait parfois pour revoir qqch qui ne lui plaisait pas forcément dans le parfum et qu'il trouvait parfois que c'était meilleur. Pour ma part, un peu désabuser, j'avoue que je fréquente telle et telle maison par goût, par affinité olfactive, uniquement. sur le fond, nous savons que ce sont de grands groupes qui mènent la danse. Tout ce qu'on peu espérer, c'est que notre avis soit pris en compte pas parce que nous sommes des amateurs éclairés, mais parce que nous sommes des clients, qu'au final, c'est nous qui remplissons le tiroir caisse... Comme l'a déjà dit Poivre Bleu-Juliette "votons avec notre porte-monnaie!"
    Oui, triste époque. Malheureusement, le joli monde du parfum n'est pas un monde de poésie pure, mais une industrie aussi puante et écoeurante que celle du pétrole.
    Mais nous allons lutter en sentant beau!
    (Et en portant du vintage, de plus en plus ma solution de repli)

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