bon genre

"...aux lèvres un sourire ambigu où je ne voyais que la bienveillance d'une Majesté et où il y avait surtout la provocation de la cocotte."

Marcel Proust, du côté de chez Swann, 1913.

Dans l’album de famille Goutal, il y a Madame et ses grand floraux sages et romantiques, Monsieur et ses eaux chyprées, les petites Princesses, leur soliflores, leurs gourmandises ultra fines, et le gendre idéal sagement hespéridé. Pourtant, hors cadre, il se passe aussi des choses. Il y a le beau légionnaire Sables, celui qui fait rêver les femmes, a probablement pris la virginité de l’aînée des princesses un soir d’été, lui laissant un souvenir impérissable. Et il y a l’Autre Femme.

Passion, Annick Goutal
L’Autre Femme, la maîtresse, la sensuelle, la troublante, la voluptueuse. Celle dont on s’accommode, dont on sait qu’elle est là, mais qu’on feint d’ignorer, la rivale dangereuse, la femme de l’ombre. Dans le fond, autant celle-là plutôt qu’un autre comme disait Marie Lezczynska de la Pompadour, car dans le fond, elle est plutôt bonne fille. Elle vit sagement son histoire d’amour, sans jouer les briseuses de ménage, se contentant de son statut de seconde.

L’Autre Femme porte des parfums capiteux, de grands floraux blancs, terriblement troublant, qui s’insinuent partout, laissent des traces sur les vestes de Monsieur. Passion. Une tubéreuse, voluptueuse, mais la partition est jouée à la manière de Goutal, en élégance et en subtilité. L’essence de tubéreuse a naturellement un aspect vert au départ, un peu croquant, comme si la tige était venue avec la fleur, un peu camphré. Annick Goutal a eu l’idée de le mettre en valeur grâce à la feuille de tomate, ça enlève le parfum, lui donne une autre dimension que les habituels aspects solaires : incontestablement plus élégant, moins fatal, moins hystérique.  

Le mariage avec les fleurs blanches, le fond de chypre, confère au parfum une aura de luxe, très « avenue Montaigne » années’50, rétro-chic, sophistiqué. Le porter, c'est s'enveloppé dans une étole de vison, retrouver des gestes anciens, désuets, mais plein de grâce et de volupté, celui d'être une créature chérie, aimée, gâtée. Passion sent, avec son sillage fleuri un peu poudré, la femme entretenue à grands frais, la poule de luxe. Idéalement, je placerais ce parfum quelque part entre les grandes horizontales Belle Époque et les filles de Madame Claude, dans une âge d'or des années '50 ou le New Look avait remis à la mode les tailles étranglées et les poitrines pigeonnantes. 

Passion est très robe de cocktail noire, faussement sage sous le vison, le genre de robe qui se retire facilement, gracieusement, pour s’abandonner à une langueur quasi conjugale, mais avec ce petit plus de la transgression. On garde quand même le collier de perles, parce que finalement, chez Goutal, même l’adultère est Bon Genre ?


Passion, Annick Goutal, 1983

Commentaires

  1. Je suis un peu fâchée avec les Goutal, sauf avec Sables qui fait parti de mon "top ten". Je n'ai pas eu l'occasion de sentir Passion mais c'est le seul qui sur le papier me donne envie. Votre billet n'a fait que confirmer mon impression ! Cela m'a fait penser à une anecdote concernant l'histoire d'amour entre Maria Callas et Aristote Onassis. La Callas racontait qu'Onassis voulait qu'elle l'attende toute nue sur le lit, mais parée de tous ses bijoux....

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oh, j'adore l'anecdote!!! Merci.

      Oui, ça pourrait coller à Passion, il y a de ça, un côté très Callas, élégant et bigger than life plus que beau, avec cette histoire d'amour brûlante même si Onassis épouse la beaucoup plus respectable Jacqueline Kennedy. C'est à la fois romantique et tragique, un peu sordide aussi, quand on pense à l'attente de Maria. <3

      Supprimer

Enregistrer un commentaire