incarnations


"C’est qu’elles auront cessé de nous intéresser, que leur entrée ne sera plus pour notre cœur l’apparition qu’il attendait autre et qui le laissait bouleversé, chaque fois, d’incarnations nouvelles."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, la prisonnière, 1923.

Les colognes Goutal me laissent perplexe, sceptique, depuis leur sortie et me posent et me reposent sans cesse la question du pourquoi qui m’empêchent de les apprécier à leur juste valeur… Le problème est de façon générale celui de tous les flanker, stratégie commerciale visant à capitaliser sur un nom prestigieux, des campagnes de publicités plus anciennes, et rester dans l’actualité en faisant du neuf avec de l’ancien. Le procédé m’agace. Au départ, j’aurais pu penser que des variations sur un parfum qui me plait était une idée séduisante, quelque chose qui pouvait mener à cette fidélité infidèle avec un parfum ni tout à fait le même, ni tout à fait autre, qui pourrait s’accorder à ma sensibilité, selon les jours en baissant le ton, en le haussant, en étant un peu plus ci, un peu plus ça… En vérité, je n’y comprends généralement rien et me borne à préférer l’original meilleur, peut-être parce qu’il l’est réellement, peut-être parce que je me suis fait à lui, parce que je l’ai apprivoisé. Le flanker me laisse toujours à penser que la marque trouve que son parfum était dans le fond un peu raté. Et j’imagine la mère expliquant à son enfant qu’elle lui a fait un petit frère parce qu’elle le trouve moche… J’avoue, l’idée me brise un peu le cœur. (Parce que le perfumista a parfois tendance à traiter ses parfums un peu comme des personnes, des identités immatérielles, mais bien réelles et vivantes. Parfois, nous sommes un peu dingues) Parfois, c’est bien pire et on peut voir l’usurpatrice, prendre la place de l’original comme chez Dior qui élimine petite à petit l’œuvre de Jean Carles, le Miss Dior de 1947, le seul et l’unique, au profit de l’ancienne chérie, devenue la seule porteuse du nom. Pour les amateurs, c’est un crime de lèse-majesté, un blasphème, un parricide. D’autant qu’il s’ajoute au retrait du prénom du créateur. Peut-être un jour l’univers bâti par Christian Dior aura-t-il tellement mué qu’il ne s’appellera plus du tout Dior mais simplement LVMH ?

Donc, je suis un peu perturbé par ces colognes, n’arrivant pas à savoir si je les aime pour elle-même parce qu’elles me rappellent des souvenirs de défunts beaucoup aimés ou si je les dénigre parce qu’elles n’arrivent pas à la cheville de leurs aînées… L’Eau d’Hadrien en cologne me semble un peu sans intérêt : l’eau de toilette a tout d’une cologne, la légèreté, la fugacité, la fraîcheur… Ce pur flanker me semble surjouer la fraîcheur au départ, il m’a fait penser à une citronnade chimique, et se meurt, assez vite, dans une douceur musquée fort jolie, mais un peu banale, un peu trop propre, lessivielle. L’Eau d’Hadrien est un paysage merveilleusement naturel, la cologne n’est qu’un chouette parfum pour qui veut sentir le propre. Bref, le prototype du flanker qui n’ajoute rien à l’original… Même si ceux qui n’aiment pas Hadrien, il y en a, j’en connais, aiment bien en général cette version-là. Il n‘est, Hélas !, pas en mon pouvoir de les convaincre qu’ils ont tort.

Le Néroli est un autre cas de figure : objectivement, c’est une jolie cologne, une fleur d’oranger tout en fraîcheur et en douceur, absolument moelleuse et délicate, une merveille de confort et de joliesse, de gentillesse aussi, sauf que j’adorais l’eau de toilette Néroli qui n’était pas, elle gentille ! L’eau de toilette avait la fraîcheur d’une cologne, pétillante et joyeuse mais elle était dotée d’un départ absolument fabuleux, vert et crissant, qui évoquait quelque chose d’aussi intense que le bruit de l’ongle qui fait hurler un tableau noir en donnant des frissons à tout l’auditoire. C’était aussi la plus habile utilisation de muscs blancs jamais vue, qui lui donnait une tenue record pour un produit de ce type sans qu’ils soient jamais trop perceptibles. La suppression était un drame. La renaissance sous la forme cologne est une déception. Comment juger de la cologne en soi ? Sans être injuste ? Parce que oui, la cologne est jolie, oui, elle est plaisante et agréable. Oui, j’aurais sans doute du plaisir à la porter, mais…

Le Vétiver est sans doute ma préférée. Probablement parce que jamais je ne me suis approprié le vétiver original. Beau et original, il associant les notes terreuses, âpres, fumée, des racines, à un souffle d’air marin qui le rendait lumineux. Mais il était terriblement dur, radical. Probablement l’un des parfums les plus intéressants de la gamme Goutal avec l’extraordinaire Sables dans lequel je me sens si bien. Curieusement, les masculins m’ont toujours paru plus culottés (vous me direz que c’est normal…) alors qu’il en va d’habitude autrement pour la plupart des marques : madame s’offrant les créations plus inspirée, monsieur perpétuant une tradition sans prise de risque. Toujours est-il que la cologne me plait beaucoup : le vétiver est clair, net, rafraîchi de citron en tête, toujours iodé, mais adouci par les muscs. Plus facile à porter. Et grâce à l’appellation cologne, devenu mixte. Et c’est si joli un vétiver sur une jeune fille…

Les Colognes : Eau d’Hadrien, Néroli, Vétiver, Isabelle Doyen pour Annick Goutal, 2013.

Commentaires

  1. Votre dernière phrase me saisit. Vetyver de Guerlain à Madrid, ce sont les femmes qui le portent! (trop délicat et parfumé pour les hommes madrilènes).
    Très cordialement,
    Sara

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    1. Ici, le Vetiver est l'un des basiques de la parfumerie masculine, une odeur qui définitivement veut dire monsieur avec ses aspects âpres et austères. Question de culture, définitivement!

      Et de climat, probablement, car j'imagine bien que lorsqu'il fait chaud, un bois, une racine, sont une très bonne alternative à une parfumerie traditionnelle féminine qui vire à l’écœurant alors qu'une certaine sécheresse, même très présente, reste belle... Au moment du lancement du vétiver de Guerlain, la parfumerie féminine était dominée par des parfums riches et assez souvent gras qui devaient très mal supporter le voyage vers le sud... J'imagine que le vétiver devait être une très belle alternative pour toutes celles qui n'aimaient pas le genre colognes et eaux fraîches, non?

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    2. Le vétiver est une note qui résulte d'une grande fraicheur en hiver et d’une étonnante chaleur sèche en été lorsque le parfum au complet s'épanouit et se déploie. La nuit madrilène très chaude aux mois de juillet, d’août et de septembre offre deux possibilités : fleurs blanches capiteuses (surtout la tubéreuse) ou du vert disons « foncé » (vétiver, chypres verts et puissants) oubliez les « sucrailles », aussi insupportables qu'elles puissent sembler par climat chaud et humide elles deviennent chez nous carrément importables!
      Ce pour le soir et la nuit ; le long de la journée, avant que le soleil se couche il est préférable de ne rien porter, les eaux de toilette et les colognes virent de façon désagréable ou disparaissent (la meilleure des deux possibilités en tout cas).

      Très cordialement,
      Sara

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    3. Ici, ou la chaleur lorsqu'elle est forte est invariablement humide et orageuse, un lait pour le corps frais (Verveine de l'Occitane ou Eau d'Orange Verte Hermès) est ce qui fonctionne le mieux. C'est absolument sans risque.

      Pour ce qui est de l'apect "tourné" que prenne les hespérides, je vois tout à fait, dès que la température dépasse les 25°, je range mon Ninféo Mio de Goutal qui prend des allures aigres ou acides évoquant assez facilement l'urine dès qu'il fait trop chaud, alors qu'il est absolument délicieux par temps frais.

      Les fleurs blanches, je vote pour, mais quid d'une note boisée bien sèche? J'aurais cru que ça passerait bien aussi. (Dans un registre proche du vétiver)

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    4. Oui effectivement j'avais oublié les boisés verts (comme je vous disais du "vert foncé") ou du boisé avec du cacao pas sucré. En tout cas tout ce qui manque de sucre fonctionne très bien. Le sucre fait que le parfum une fois appliqué devienne extrêmement lourd, difficile à porter et à supporter.
      Ninfeo Mio et Un Jardin en Méditerranée par exemple développent le sucre de la figue et deviennent lourds (il est préférable de les utiliser par temps froid), il en est de même avec Dolce Vita, magnifique lorsqu'il fait froid, importable à cause des températures estivales.
      La tubéreuse se porte très bien le soir (Carnal Flower, Fracas...), certains jasmins deviennent dangereux car fauves (Jardin Blanc, A la nuit) mais se portent très bien aussi; par contre la fleur d'oranger est plus belle quand il fait très froid (je pense surtout à Fleurs D'oranger de Serge Lutens), Fleurs de Citronnier pour sa part c'est bien aux mois de mars ou d'avril. L'iris c'est mieux quand il fait froid: par la chaleur certains disparaissent (Chanel 19 poudré c'est comme si on n'appliquait rien).
      IL est préférable également de miser sur les laits parfumés pour le corps. Une autre option serait la poudre parfumée mais il n'y a que Juicy Couture qui vende (au moins à Madrid) des parfums en poudre (Juicy Couture et Couture Couture) je préfère sans aucun doute Juicy Couture qui dégage un jasmin assez charmant.
      Très cordialement,
      Sara

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    5. Merci de ces précisions qui m'enchantent!
      Oserais-je suggérer un essai de Infanta en Flor pour l'hiver, alors? Arquiste propose là une belle fleur d'oranger qui s'animalise sur du cuir, je pense qu'elle doit faire merveille par grand froid!

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    6. Je teste Infanta en Flor cette semaine ou la prochaine et je vous tiens au courant. Je crois que je vous l'avais déjà promis.
      Sara

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