dans le Temps.


"En somme, quand je la voyais, je remarquais qu’elle avait un grain de beauté, mais ma mémoire errante le promenait ensuite sue la figure d’Albertine et le plaçais tantôt ici, tantôt là."

Marcel Proust, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Ce qui me frappe, chez les personnages de la recherche, c’est leur inconstance. Et c’est pour moi ce qui contribue, entre autre, à les rendre si réels, si vivants. Peut-être n’est-ce que la façon dont le narrateur les perçoit qui change, comme pour le grain de beauté mouvant d’Albertine, mais c’est peut-être aussi la vie qui les change, les faisant passer d’un état à l’autre, les caractères, les apparences, s’adaptant aux différentes situations, se révélant autres, tout en laissant une place au doute… Et si jamais c’était le narrateur qui avait mal vu, mal perçu ? L’exemple le plus marquant est peut-être Odette, Madame Swann, qui s’incarne en actrice, cocotte, bourgeoise, aristocrate et semble tour à tour cruelle, volage, bonne épouse, passe de presque laide, vulgaire à élégante… Et nous ne saurons jamais si elle fut ou non "la dame en rose."

Tout cela pour en venir à la fidélité à un parfum, ce mythe des gens qui veulent une signature, un marqueur de leur présence, un signal, un rappel… Cela m’étonne toujours un peu. Je n’ai jamais pensé que mon parfum était une partie de ma personnalité et je n’ai jamais non plus pensé que je pouvais être monolithique, toujours pareil. À ce régime, on ferait tout aussi bien d’adopter l’uniforme et de se vêtir tous les jours de toutes l’année de la même façon car sans cela comment serions-nous reconnus ? 

Je ne crois pas à ce genre de fidélité, vous l’aurez compris, je change chaque jour de parfum, passe de l’un à l’autre avec bonheur, sans me soucier d’une éventuelle continuité, d’une quelconque signature, de la moindre marque de fabrique. Je ne pense pas que les gens m’en reconnaissent moins pour autant… Je suis probablement celui qui sent toujours bon, toujours différent, et cela me convient autant et peut-être mieux que d’être l’éternel santal ou le sempiternel citron. Et peut-être, comme dans le roman, découvrira-t-on à tous ces parfums, un beau jour, une belle unité, une continuité qui se sera révélée "dans le Temps."

Commentaires

  1. C'est un concept auquel j'aurais aimé adhérer et suis toujours perplexe quand j'entends "mon parfum depuis toujours...". Le moment de la journée, l'humeur, la saison, autant d'inconstances et de variations...je suis certainement moins passionnée et me contente de deux à trois flacons...les vôtres me font cependant rêver...
    lena sous le figuier

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    1. Deux ou trois à la fois ou une bonne fois pour toute?

      J'avoue, j'aimerais parfois en avoir moins! Enfin, je disais cela avant, mais depuis, j'ai appris à faire moins d'erreurs d'achats et à choisir avec une main plus sûre ceux que je porterai.

      La passion n'a rien à voir avec le nombre, je crois. D'ailleurs, heureusement qu'il y a les autres pour porter tous ceux que je ne peux, ne veux porter et m'enchanter

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  2. Je suis ravie que tu aies écrit ce billet sur la fidélité en parfum, à laquelle je ne crois pas non plus à vrai dire.
    Pour ma part, je pense que j'aime changer de parfums car la variété dont je dispose m'autorise tout un tas de plaisirs différents chaque fois, et que je ne pourrais pas connaître avec un seul. De plus, le fait de passer de l'un à l'autre te permets de les découvrir chacun différemment à chaque fois, comme tu le dis très bien dans ton article.
    En revanche, je crois que la personnalité s'exprime tout de même avec une collection de parfum et avec chaque élément de celle-ci. J'ai souvent la sensation de donner à voir une partie de moi-même aux autres lorsque je porte tel ou tel parfum, même si je ne suppose jamais qu'il me résume entièrement.
    Et au final, il me semble tout de même (comme tu l'évoques à la fin de l'article) que d'une collection se dégage une certaine harmonie : une trame forte avec une signature récurrente et typée (ou fleuri-vert, fleuri-aldéhydé, boisé-encens...), ses satellites proches, ses incohérences extravagantes... Un ensemble de dominantes et de nuances qui pourrait aussi bien définir une personnalité...

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    1. D'une part, nous sommes complexes, et de l'autre, nous sommes aussi changeants. Je crois que me figer dans un parfum, me donnerait une impression de rigidité, de sclérose... Et certainement, je souffrirais comme toi d'un manque de nuances. Sans parler du drame de l'anosmie qui finirait par se produire après 20 ans d'un même parfum... Un seul parfum s'il n'est pas discontinué et en tenant compte des inévitables reformulations...

      Bref, un seul parfum, impossible! D'autant qu'on procède souvent par essais et erreurs avant de trouver ceux qui nous conviennent. De très belles, de très bonnes erreurs parfois.

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