classiques


“…héritier d’une famille de riche et bonne bourgeoisie où s’étaient conservés héréditairement, tout prêts à être mis à son service dès qu’il le souhaitait, la connaissance des bonnes adresses et l’art de savoir bien faire une commande."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Calèche, Soie de parfum, Hermès
Avec des amis, nous nous faisions la réflexion que de plus en plus nous boudions la niche et que nos goûts se resserraient de plus en plus vers le mainstream. Le mainstream ancien, bien sûr. Et que de même nos choix « nichus » étaient faits dans des marques anciennes et ne portaient généralement pas sur des parfums récents.

Il semble que le "concept" soit à l’honneur dans la niche. Une marque nouvelle, parmi tant d’autre maintenant, devant se démarquer par une idée directrice forte, une posture. Je ne sais pas ce qui se passait dans la tête des fondateurs de marque de niche au XXème siècle, mais il me semble qu’il y avait une volonté de s’exprimer et de proposer un univers qui était personnel… de là, naissait l’émotion, le désir, si l’univers du créateur rencontrait le nôtre. Avec le concept, j’ai un peu de mal, je m’intéresse, mais j’ai la sensation qu’il y a une idée, plus importante que le parfum, une volonté marketée de faire l’évènement tout en étant facile à appréhender, parce qu’un concept, ça se recopie, ça fait parler, là ou un accord est difficile à décrire, une émotion ardue à faire passer, à mettre en mots. Du coup, l'émotion me manque et je n'arrive pas à nouer une histoire avec ce genre de parfum. Et le discours qui passe avant le parfum, ça ressemble furieusement au mainstream actuel. Le rythme des lancements aussi, d’ailleurs. Nous n’en sommes pas encore au flanker, mais qui sait ? 


Miss Dior, vintage.
Du coup, il y a une envie, par réaction, de redécouvrir une parfumerie plus traditionnelle, déjà ancienne à notre époque ou tout va si vite, celle du XXème siècle, celle dont tout est parti, tout est sorti… Cette parfumerie qui nous a donné des classiques. La notion de classique est intéressante, elle peut renvoyer à quelque chose d’ancien, mais pour moi, elle renvoie plutôt à quelque chose qui a traversé le temps, qui a su dépasser son époque. Les sentir, pour moi, est vraiment indispensable et participe à une éducation parfumée, à la culture. Les gens qui maîtrisent absolument toute la niche la plus pointue mais ne connaissent pas un N°19, n’ont que très vaguement senti un Mitsouko, me laissent pantois… Bien sûr, ils sont épatés par bien plus de choses, ils ne sont pas blasés, on pourrait presque les envier.

Il ne s’agit pas d’un repli de crise de type « misons sur les valeurs sûres! » ou d’un repli identitaire, parce que la curiosité est toujours belle et bien là, mais plutôt d’une lassitude face à une offre pléthorique. Peut-être que je vieillis quand je ne comprends plus les sorties. Peut-être. Il y a surtout une envie, un besoin de fidélité à ceux que je connais depuis longtemps, une envie de les retrouver, de me recentrer, avec un écœurement face à la course à la nouveauté, la chasse à la dernière sortie et le fait que je ne me retrouve pas nécessairement dans cette époque. Il est assez facile de taper sur le mainstream contemporain qui ne propose plus que du sucre, des formules lissées par les tests consommateurs mais en quoi la niche est-elle encore différente maintenant ? Elle propose aussi des expériences improbables ? Oui et parfois, c’est même intéressant. Mais mes parfums, je ne les visite pas comme ma galerie d’art privée, je les porte. Pour le reste, je n’arrive plus à percevoir les différences dans les démarches. Je ne dis pas que certains créateurs ne sont pas sincères, pas du tout, d’ailleurs, je continue d’acheter, un peu, très peu, mais j’ai l’impression que le système niche est devenu une arme de consommation massive comme son aînée mainstream. Avec les mêmes défauts, les mêmes manies.
Mitsouko, Guerlain

Et le sentiment de la nouveauté, la surprise, jaillissent autant d’un flacon d’un classique à condition qu’il ne soit pas trop défiguré. Les classiques sont notre patrimoine, un patrimoine qui doit être préservé. D’une part, il y a l’IFRA, de l’autre, il y a nous qui ne les faisons pas vivre, qui ne les portons pas, les oublions, laissant les marques les abandonner puisqu’ils ne se vendent plus, ne les faisant pas découvrir au plus jeunes qui n’iront pas spontanément vers ces merveilles d’un autre temps. Les redécouvrir, les porter, les aimer en les faisant vivre, ce n’est pas du passéisme…

Commentaires

  1. Je retiens trois de vos phrases (que j'ai copiées et collées) "La notion de classique est intéressante, elle peut renvoyer à quelque chose d’ancien, mais pour moi, elle renvoie plutôt à quelque chose qui a traversé le temps, qui a su dépasser son époque.", "j’ai l’impression que le système niche est devenu une arme de consommation massive comme son aînée mainstream. Avec les mêmes défauts, les mêmes manies." et finalement "il y a nous qui ne les faisons pas vivre, qui ne les portons pas, les oublions, laissant les marques les abandonner puisqu’ils ne se vendent plus". La niche me laisse pantoise la plupart des fois, il y a eu l'oud puis le patchouli et la rose, puis le gardénia ; je me rends compte que finalement l'erreur est toujours la même, il n'y a pas la volonté de faire des produits durables, de nouveaux classiques. Je trouve une volonté du classique plus évidente dans les sorties Hermès, par exemple, que dans bien des maisons de niche. Qu'en pensez-vous?
    Cordialement,
    Sara

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    1. Me parler d'Hermès, c'est me prendre par les sentiments! (C'est même un peu traître!) Forcément, je suis d'accord. Oui, je trouve qu'Hermès est vraiment une marque qui rete cohérente avec son univers luxueux mais pas tape à l'oeil et qui plus est dans tous ses positionnement, du plus mainstream au plus nichu. Elle vit avec son époque, ne se coupe pas des modes et des réalités, mais en prenant soin de faire les choses à SA façon et surtout sans nécessairement se précipiter pour être là en même temps que tous les autres!

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    2. Ce n'est pas si traître que ça : nous partageons des goûts très similaires, mais surtout le respect pour la cohérence comme une partie incontournable du savoir-faire.
      Je confesse : Oui, moi aussi j'aime la maison Hermès avec ses eaux de Cologne à la gentiane, à l'orange verte et la toute dernière au narcisse et je raffole de l'Eau de Campagne de Sisley (j'ai acheté tous les flacons de 122 ml qui étaient disponibles à Madrid, donc datant d'avant la toute dernière reformulation) et je suis avec beaucoup d'attention et d'intérêt les travaux de Jean-Claude Ellena. Non que j'aime tout ce qu'il fait, mais j’apprécie beaucoup sa façon de travailler les matières et les odeurs.
      Et puis j'utilise également "Alvarez Gómez" qui date de 1912!
      Très Cordialement,
      Sara

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    3. Oui, ce n'est pas si traître... Sauf que vous savez exactement par ou me prendre! Je travail d'Ellena, je le suis également et avec bonheur. Sans aimer tout, non plus. Mais beaucoup. Et en aimant à la folie et avec fidélité. L'Eau de Campagne, ce fut l'un de mes tout premiers parfums, avec l'Eau Sauvage.(Et je suis longtemps resté fidèle aux parfums de Roudnitska également) Depuis, je crois que nous ne sommes jamais vraiment quittés. Enfin, JE ne l'ai jamais vraiment quitté. Je pense qu'il a vraiment inventé un langage moderne en parfumerie, une modernité sans esbroufe et prétention.

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