un jour à Balbec


Des notes vertes de tiges, quelques agrumes et un bouquet de fleur plutôt abstrait, soutenu par un fruit humide dont on me dit que c’est la poire, la transparence de Jean-Claude Ellena, voilà qui peut décrire jour et n’en dit rien à la fois. Sous ses airs de classique moderne, le nouveau parfum d’Hermès cache une jolie poésie.

C’est par le biais de la littérature que je décrypte le mieux ce parfum plus bavard qu’il n’y parait… Pour moi, il évoque irrésistiblement le Balbec des jeunes filles en fleurs. Sa lumière est bien cet or pâle et liquide sur fond de mer et d’air que le narrateur aperçoit par la fenêtre du grand hôtel, et sa transparence « ce lointain transparent et vaporeux » dont parle Proust. Dans ce bouquet de fleurs abstrait ou certain liront l’académisme de ce qui doit être d’emblée un classique, je ne peux m’empêcher de mettre cet effet du petit groupe ou le charme de l’ensemble n’est pas la somme des charmes particuliers, mais une qualité qui semble intrinsèque et pourtant fluide passant d’une jeune fille à l’autre, déplaçant ais l’admiration et l’amour naissant du narrateur de l’une à l’autre sans possibilité de se fixer, incapable de les individualiser. Il y a bien des fleurs et certains chercheront à deviner laquelle, pour ma part, je préfère rester dans l’abstraction, l’imaginaire, sans chercher à savoir…

Comment ne pas penser à Mme Elstir en pensant au luxe selon Hermès : « elle est mise très simplement en effet, mais elle s’habille à ravir et pour arriver à ce que vous trouvez de la simplicité, elle dépense une argent fou. » Le luxe de Jour est tout entier dans sa virtuosité là où on nous habitue à des effets de matières pour évoquer la richesse dans de désagréables effets de tape-à-l’œil. De jour, on peut la même chose que des accessoires choisis par le peintre de la recherche : « mettant tout un monde dans une proportion, une nuance, il faisait faire pour sa femme à des prix fous des ombrelles, des chapeaux, des manteau qu’il avait appris à Albertine à trouver charmant et qu’une personne sans goût n’eut pas plus remarqués que je n’avais fait. »

Jour demande un peu de temps et d’attention, il réclame l’essai sur peau et le plaisir d’être découvert en sillage pour se révéler. S’il n’est pas pour moi, il fait partie de ceux que j’aimerais sentir souvent autour de moi.

Commentaires

  1. Je suis d'accord avec vous, Jour nécessite absolument l'essai sur peau et d'emblée. J'ai eu le tort de le sentir sur touche et mon appréciation en a été complètement faussée.
    Il ne m'évoque pas Proust puisque je ne l'ai pas lu, mais il m'évoque la mer et la douceur " chic " d'un moment à Pereire, quartier huppé d'Arcachon dont je ne me lasse jamais... Mais en fait et à bien y réfléchir il est beaucoup plus Abatilles que Pereire. Je n'ai pas pu résister à ce parfum, prudemment je redécouvre ce terrain connu mais un peu délaissé ces derniers temps. Impossible de porter 24 Faubourg, Jicky ou un autre pour l'instant, mais Jour semble vraiment " pastel " à tous égards, surtout pour une eau de parfum.
    Délicat, abstrait oui c'est vrai et finalement très joli.

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    1. Le seul reproche qu'on puisse lui faire, c'est qu'il n'est pas "révolutionnaire" mais je ne pense pas que ce soit l'attente avec un parfum Hermès... Depuis le début, les grands mainstream de la marque se contente de donner leur interprétation de la tendance. Calèche n'était pas du jamais vu, Parfum d'Hermès et Amazone non plus, mais ils n'en sont pas moins de belle réussites que nous apprécions d'autant plus avec le recul. Il faut juste souhaiter que Jour passe l'épreuve du temps et je suis certain que beaucoup lui rendront justice dans quelques années. Il reflète son époque, mais il le fait bien joliment et très élégamment. Et, en soi, ce n'est pas si simple.

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  2. Moi, je le trouve froid et sans aucune once de sensualité. C’est de transparence acide et végétale qu’il s’agit. Il me rappelle un « remixe » de toutes les autres créations de la maison, genre « je tourne en rond » dans une aquarelle frigide. C’est conceptuel et on dirait que ça plait. En ambiance c'est tres sympa, ca fait un peu penser aux bottes des bouquets de fleuriste sur les marchés.
    Le flacon est très beau (on dirait celui du premier parfum de Kate Moss, je sais, c’est UNE référence…:)

    Carlos

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    1. Très honnêtement, l'aspect acide, je l'ai perçu sur touche, mais pas sur la peau. Et j'avoue qu'un pointe d'acidité n'est pas pour me déplaire, de même que l'aspect "bottes de fleuristes" est plutôt destiné à me plaire...

      Tourner en rond, oui, c'est une critique qu'on entend souvent, mais dans ce cas, je ne la trouve pas justifiée. Certes, il suit des pistes déjà explorée par JCE mais organisée en un vrai grand parfum, articulées d'une façon nouvelle. ça me fait un peu penser à ce qu'on disait de Sagan: "toujours le même petite monde" qui n'était pas forcément faut, mais qui enchantait ses lecteurs (de même que Jour enchantera certains fans du style Ellena pour Hermès)et aujourd'hui, on redécouvre Sagan...

      Pour rester dans le parfum, c'est assez fréquent ce genre de chose. Je pense par exemple à l'oeuvre de Roudnitska. Certes, on ne le perçoit plus aujourd'hui ou ne subsiste que quelques grands succès, mais quant on mets la main sur des vintage, on s’aperçoit qu'on comble des vides, qu'il y a une évolution, qu'on retrouve des éléments communs, souvent repris, développés autrement... Je pense que dans le cas des parfumeurs vivants, il en va de même mais que d'avoir le nez collé à leurs oeuvres, de les suivre trop régulièrement, avec de nombreuses sorties enchaînées renforce cet aspect et donne un sentiment de monotonie. Personnellement, je me dit que toute les hermescences ne survivront pas, que beaucoup seront oubliées sauf de quelques amateurs et que les créations tardives perdront du coup cet aspect. (Je ne sais pas si Jour restera, mais au moins, Hermès est une maison qui donne à ses parfums mainstream le temps de s'imposer sans que les décideurs se mettent à hurler à l'échec et à prononcer trop tôt le décret de cessation de production.)

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