l’orpheline, serge lutens

 


Serge Lutens excelle dans la création d’univers, d'un storytelling décalé pour des créations souvent originales mais toujours portables qui semblent parfois destinées à ceux qui cultivent l’art de déplaire où plutôt qui plaisent sans l’avoir chercher contrairement au mainstream et à une grande partie de la parfumerie de niche qui semblent perpétuellement dans un jeu de séduction du plus grand nombre assez lassant. (En parfumerie le plus petit dénominateur commun est souvent un manque flagrant d’imagination.)  Le choix des noms des parfums est souvent un grand bonheur même s’il frise parfois un ésotérisme aussi déroutant qu’abscons. Dans ce cas précis, j’avoue comprendre que le nom fasse peur.

 



J’avoue bien volontiers que je me voyais mal lors d’une discussion avec ma mère lui dire que je portais ce parfum… Mais mes parents sont morts donc ce n’est plus un problème. Et en réalité, je ne trouve pas ce nom problématique ou déprimant. Tout notre univers est peuplé d’orphelines. Pensez aux princesses de vos contes préférés lorsque vous étiez enfants ou aux héroïnes des derniers dramas que vous suivi avec passion sur votre chaine de streaming préférée. Être orphelin est libérateur. Certes, il y a le deuil et une souffrance à laquelle il a fallut faire face, mais c’est aussi une incroyable liberté. (Je vous épargne les analyses freudiennes, ne me remerciez pas.) N’avez-vous pas remarqué comment dans toutes ces fictions, ce personnage orphelin est celui qui échappe au poids des traditions et s’invente lui-même ? Alors, pourquoi ne pas porter l’Orpheline ?

 



Le parfum est quelque peu étrange, à la fois fort et intimement discret. Le départ est rapide, un poivre intense presque dérangeant pour moi qui ne suis pas très amateur de la note. Mais bien vite arrive le parfum qui se révèle très changeant selon les conditions climatiques. L’orpheline propose un accord encens-patchouli sur fond de musc. Le patchouli vient en premier, sec et moisi, évocateur de la terre, peut-être celle du cimetière, l’encens ne se dévoile qu’ensuite, très propre grâce au musc et passablement éthéré comme une trace de cérémonie religieuse passée sur un vêtement de deuil que comme une messe des morts. Le parfum est en réalité très apaisé, serein. Sombre, il évoque un passé qui n’a pas été un lit de roses mais avec lequel la paix a été faite.

 



Le propos pourrait être simple mais l’évolution, le jeu entre les différentes notes est assez complexe, changeant, ce qui donne au parfum toute sa finesse et son élégance et une belle profondeur. (Je ne trouve pas souvent les parfums Lutens élégant, ils ont d’autres qualité, mais celui-ci possède une sécheresse, une retenue qui lui donne beaucoup d’allure.) Il ne plaira pas à tous le monde. Personnellement, il n’est pas sans m’évoquer l’odeur des livres anciens, pas qu’il la reproduise mais ce sont des senteurs du même ordre qui se répondent, se complètent, se rejoignent. Je l’adore en ce moment parce qu’il va bien à l’automne, à mes envies d’être seul avec un bon roman.

 



Tout en introspection, c’est un parfum discret, mais tenace qui nous accompagne volontiers lorsque nous visitons notre monde intérieur. L’Orpheline possède une grande force, qu’elle n’a pas besoin de montrer ou de démontrer, compagne fidèle et fiable qui m’aidera à passer l’hiver, ce deuil de la nature. J’aime beaucoup la maitrise des muscs blancs qui, plutôt qu’une propreté, apportent au parfum une légèreté, une lumière bienvenue qui lui évite complètement d’être dramatique en la plaçant plus joliment dans la poésie. (Si vous vous demander si un total look Wednsday Addams est de rigueur, la réponse est non, c’est un parfum beaucoup plus facile à vivre et à porter qu’il n’y parait même s’il met en lumière notre part d’ombre.)

 

L’orpheline, Christopher Sheldrake pour Serge Lutens, 2014.

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