bas de soie, serge lutens

 


Si Bas de Soie était un épisode de la Recherche, il serait celui des souliers rouges de la duchesse, monument de cruauté où les détails de la toilette l’emportent sur les gens avec un parfait manque de cœur. Ce parfum, dont le nom rend hommage à un certain fétichisme, est une ode à la froideur que je retrouve avec énormément de plaisir. Je ne sais d’ailleurs pourquoi je l’avais délaissé. La réponse est peut-être tout simplement que les allées et venues dans les différentes collections de Serge Lutens rendent parfois un peu compliquée la fidélité même si le passage en flacon cloche n’est pas pour me déplaire. (Confidence un peu fétichiste : je trouve ce flacon magnifique, classique, parfaitement adapté à tous les décors, dont celui des salons du Palais Royal, et plus réussi à mon goût que le flacon emblématique de Chanel, trop carré pour moi.)



Les notes sont simples à décrire (et c'est très bête de s'arrêter à ça) : après un départ brillant, le galbanum installe une note verte, un peu terreuse au départ, qui est la colonne vertébrale du parfum. Sur cette tige s’épanouit une jacinthe, bleue et suave, puis enfin apparait un iris argenté, végétal plus que poudré, absolument pas cocotte. Mais cela ne décrit rien du tout car tout est dans la manière. Là où d’autres seraient figuratifs, ici, tout est stylisé, galbé, pour créer une forme qui semble ne rien devoir à la nature. Ce qui est fascinant dans ce parfum, c’est la tension qui l’habite, on dirait un parfum d’avant l’orage, d’avant la crise, lorsque l’électricité crépite, l’hystérie menace. 


photo en arrière plan:
Helmut Newton

Ayant dit cela, je comprends qu’on s’étonne que j’aime tant le porter. J’apprécie qu’on sorte le parfum de son registre habituel. Bas de soie, sans être conceptuel, est un parfum cérébral qui met au défi celui qui le porte et (surtout ?) son entourage parce qu’il ne cherche pas à plaire. Sa froideur verte et bleue n’est pas sans m’évoquer ce morceau du miroir du diable qui pénètre le cœur de Kay dans la reine de neige de Hans Christian Andersen. Il est de l’ordre de la fascination ; quelque chose de dangereux et glacé nous attire. Il est par excellence mon parfum de salope frigide, ce qui est l'un des plus grands compliments que je puisse faire en parlant d'un sent-bon.



On ne peut pas ne pas parler du N°19 de Chanel, parfum fétiche et fétichisé d'une certaine idée de l'élégance, dont il dérive (en passant par le très joli et trop méconnu Silences de Jacomo) comme l’Heure Exquise d’Annick Goutal. Mais si la musicienne avais fait du N°19 un parfum plus tendre, plus maternel, Lutens accentue l’aspect intellectuel et sévère. Personnellement, je refuse de choisir, j’aime les trois. (Les quatre, n’oublions pas Jacomo !)  Je précise au passage, petit racontage de life, que j’ai toujours eu beaucoup de succès en Bas de Soie. Certes, on me disait que je faisais peur mais… 


Bas de soie, Christopher Sheldrake pour Serge Lutens, 2010.



NB : je ne saurais dire si le parfum a été ou non revisité depuis son lancement. C’est fort possible, mais il est extrêmement changeant. Plus terreux, figuratif dans la chaleur quand le galbanum semble prendre toute la place, plus lisse, abstrait dans le froid quand c’est l’iris qui s’impose. Disons que ça lui donne un petit côté versatile.


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