M, antonio scurati

 



Est-ce que lire un livre sur Mussolini en ce moment n’est pas un peu du masochisme ? Alors, non, déjà parce que le livre d’Antonio Scurati est avant tout un bon roman, très fidèle à la réalité, mais qui est à la biographie historique ce que the crown sur Netflix est au journalisme d’investigation, pas vraiment un page turner, puisque nous connaissons l’histoire et que, du moins, nous savons comment ça finit, mais quand même un roman qu’on ne peut pas lâcher même si c’est un très gros pavé (en trois volumes.) C’est une grande fresque, très détaillée, qui raconte l’Italie à partir de 1919, pas juste Benito Mussolini, une histoire pas très glorieuse même si elle se voulait telle, sombre, violente, celle d’une extrême droite, sujet, hélas toujours d’actualité.




C’est un bon livre, qui se lit pour lui-même, avec plaisir, parce que l’Histoire fait de bonnes histoires quand elle est racontée, comme c’est le cas ici, avec talent et intelligence (l’incorporation d’archives au récit est particulièrement réussie) mais l’actualité la plus actuelle fait que c’est encore plus intéressant. Hélas! En grande partie parce que ça nous sort du cliché de la répétition, ça nous fait vraiment relativiser. Benito Mussolini n’est pas Giorgia Meloni, les faisceaux ne sont pas le rassemblement national… C’est différent, des causes différentes, un contexte différent, des conséquences différentes. Voilà qui nous force aussi à réfléchir autrement, à trouver d’autres solutions, d’autres réponses (en plus de ne pas refaire les mêmes erreurs. Est-ce qu’en lisant ça, j’ai pensé encore moins de bien de Monsieur Macron ? OUI !)




Comment est-ce que je lirais le livre si j’étais d’extrême droite ? Bonne question… Peut-être justement, avec le confort de me dire que ça ne parle pas de moi, que je ne suis pas comme ça, que les choses ont changés. Peut-être. Peut-être aussi que j’aurais eu un peu honte, mais je ne peux pas me mettre dans la tête de quelqu’un d’extrême droite, parce que j’aurais honte et que je ne serais pas du tout décomplexé, je ne peux pas y arriver et je considère que c’est plutôt une bonne nouvelle pour moi.  Est-ce que c’est le livre qu’il faut offrir à Noël à ceux qui disent qu’on ne sait pas, on n'a jamais essayé ? J’aimerais croire que oui, mais mais vu les limites de leur raisonnement, je ne suis pas persuadé qu’ils vont s’enfiler les milliers de pages du roman d’Antonio Scurati. Une intuition. Une intuition mauvaise, jugeante et méprisante ? Sans doute un peu. Vu le nombre de voix engrangés un peu partout par la droite à la droite de la droite, je vais probablement perdre des lecteurs. Dans un sens, c’est con parce que rompre le dialogue n’est pas une solution. Surtout, moralement, je ne suis pas très à l’aise avec l’idée d’être jugeant et méprisant. Bref, je suis un peu dans le même état d’âme que cette idiote de démocratie qui doit respecter aussi ceux qui veulent l’assassiner, je me sens un perdant. 

Antonio Scurati, M, l'enfant du siècle, 2024.
Antonio Scurati, M l'home de la providence, 2024.
Antonio scuratti M, les derniers jours de l'Europe, à paraître en septembre 2024 pour l'édition de poche.


Commentaires

  1. Je l'ai lu en italien. Je suis né à Modena en Emilie Romagne et mes parents étaient enfants durant la guerre. Mes grands oncles étaient résistants anti fascistes donc pas vraiment une famille acquise aux idées de Mussolini,. Mais tout était très complexe. Si on voulait aller à l'école il fallait porter l'uniforme fasciste. Les employés municipaux qui détestaient Mussolini (la plaine du Pô était historiquement à gauche) devaient prendre la carte du parti sinon ils étaient licenciés. A une époque où le travail était rare comment nourrir ses enfants autrement? Bref, tout était très complexe et on a de la chance de ne pas vivre cela. J'ai trouvé le livre presque trop détaillé, mais c'est sans doute un bien ce travail de recherche minutieux. La définition de roman est trompeuse car il s'agit vraiment d'un livre d'histoire il me semble.

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    1. Mais bien sûr que c'est complexe et horrible comme situation. Ne pas savoir ce que nous aurions été contraints de faire en pareille situations est tout ce que je nous souhaite. Hélas, le péril rôde toujours...
      Et nos propres réactions sont aussi effrayantes que ce qui les provoque. C'est facile de s'aimer et de se regarder dans le miroir quand tout va bien et que les choix sont facile, mais quand nous n'aurons plus le choix?

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  2. Bonjour DAU,

    Je trouve votre billet d'humeur brillant et surtout intelligent sur ce roman de Mr Scurati, et le paralléle que vous faites avec l'extrême droite de l'époque actuelle, je suis complètement d'accord avec vous étant du peuple de gauche, comme vous je présume. No Pasaran!
    Continuez d' écrire comme cela, c'est fameux, vraiment fin et subtil!

    Je vous souhaite un bel été.

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    1. Dieu merci la vilaine droite à la droite de la droite n'a fait que... progresser. Oui, j'avoue, cela reste assez désespérant. Mais au moins tout n'est pas perdu. (Cela dit, en Belgique et en Europe de façon générale, je pense que nous allons quand même souffrir et avoir des raison de, non, pas nous plaindre, nous indigner et nous scandaliser!)

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