Un des signes de
l’arrivée du printemps, bien plus fiable que les alouettes, un coin de ciel
bleu ou autres fantaisies météorologiques qui ne sont absolument pas logiques
est mon envie de parfums à l’œillet. Qui est presque logique. L’œillet, c’est
quand même assez parfait dans le genre « tout à la fois. » Florale,
soyeuse, mais aussi épicée et capiteuse, c’est la note des beaux jours et du
fond de l’air qui est frais. (C’est aussi la note à éviter à ceux auquel
l’eugénol évoque plus le dentiste que le clou de girofle…)
A tout seigneur, tout
honneur, il me faut commencer par l’Air du Temps que j’aime beaucoup et qui est
la vraie réussite du genre. Un nuage d’aldéhydes très élégant lui donne son air
très dame, l’œillet domine le bouquet du début à la fin avec une grande modernité.
Il rompait avec les parfums d’avant-guerre en étant beaucoup plus aéré, ouvert,
débarrassé des notes grasses, lourdes qui sente une richesse un peu trop dorée
qui fait toujours un peu vieillotte. La richesse en parfum comme en mode est
rarement très flatteuse en termes d’âge et personne n’a vraiment envie de se
prendre 20 ans dans la face. (Dit celui qui par réflexe pavlovien tend la main
en disant « VEUX » quand il entend « ça sent la vieille »
oui, oui.) Ce qui lui donne une vraie différence, ce sont quelques notes
solaires assez discrète mais bien présente qui donne à son fond une tonalité de
peau chaude pas aussi jeune fille bien sous tout rapport que l’ont prétendu les
années 70-80. Dans les années ’50, jamais adolescente n’aurait porté l’air du
temps, c’était un parfum bien trop sophistiqué.
J’adore le porter à
l’extérieur, je trouve que c’est au grand air qu’il donne sa pleine mesure,
bien plus que cloîtré dans le salon ou le boudoir, c’est peut-être ça qui lui a
donné sa modernité, après les enfermements et les couvre-feux de la guerre ?
Avec son élégance jamais vulgaire, très raffinée, un peu précieuse, il raconte des
histoires de princesses qui savent flirter et faire tourner les princes
charmants autour de leur petit doigt. La mode étant passée, il a perdu de sa
jeunesse mais son charme agit toujours. Je ne déteste pas qu’il crée sa petite
bulle d’aldéhydes ’50 qui tient la plèbe à distance. (Le genre de chose que je
ne devrais pas dire, je devrais en rester aux discours de la marque « colombes,
paix et amour » mais…) J’adore les versions anciennes, mais si l’on
consent à admettre que les temps et les législations ont changés, que ce qui a
été ne peux plus être, on trouve du charme à son incarnation actuelle qui
laisse derrière elle bien des sorties récentes avec une moue dédaigneuse.
(Je passe sous silence
Fidji, son descendant le plus connu que j’adore, il siéra mieux à la saison
lorsqu’elle sera plus avancée.)
Le premier parfum de la
marque US, sobrement appelé Oscar de la Renta, aujourd’hui Oscar, est un
descendant de l’Origan de Coty, un petit neveu de l’Heure Bleue. Deux mois par
an, je le préfère à cette dernière, l’aimant à la folie, jusqu’à l’obsession. Quelque
agrumes et aldéhydes, beaucoup d’épices sur cœur floral (très) poudré et fond orientalisant
assez sec il doit à son contemporain Opium, également signé Jean-Louis Sieuzac,
d’être resté dans l’ombre. Moins massif, il a cependant une belle présence
autoritaire adoucie par ses effets à l’ancienne. Mais si porter l’heure bleue
transporte dans un appartement de cocotte Belle Époque, Oscar de la Renta vous
emmène chez les antiquaires et dans les brocantes avec votre amie Barbra Streisand
qui chine des pièce Art Nouveau pour sa collection. Moins complexe que l’heure
bleue, plus sec, il est plus facile à porter, plus modernes, une interprétation
d’un thème ancien, par romantisme, mais adaptée au goût du jour. (Les années ’80.)
Oscar est très adulte, pas du tout jeune fille, et très habillé, très collier
de perles. Pas du tout cocotte, ni vamp, ni séducteur. Élégant ? Oui, mais
sensuel, non, pas question, laissons les filles « de mauvaise vie »
jouer les vamps dont nous médirons avec nos vieilles copines à l’heure du
lunch. Parce que c’est exactement notre genre et celui d’Oscar.
(Mon conseil :
essayer de mettre la main sur la poudre pour le corps.)
Le Dianthus d’Etro était
l’enfant caché de Bellodgia, référence suprême de l’œillet de l’entre-deux
guerres que je suis incapable de porter tant ses notes cosmétiques typiquement
Caron me donne la sensation d’être vieille au point que je me sente déjà morte
et embaumée. La version Etro était un joli œillet très épicé sur un fond crème
et poudre suffisamment transparent que pour éviter la condamnation à jouer les
chaperons « parce que de toute façon avec votre arthrite vous n’allez plus
danser ! » Non, mes chéris, laissez-moi vous montrer comment l’on
valse.
Très moderne, l’infusion
de Prada avait vraiment réussi à recrée la note quand tout le monde tentait d’y
arriver au moment des restrictions sur l’eugénol, d’une façon moderne et très
chic. Signé Daniela Andrier, très signé, il commençait par l’habituel nuage de
muscs poudré savonneux de la ligne infusion et installait une note épicée puis des
notes florales de façon indistincte tant que l’on restait le nez sur le parfum.
Comme il faut s’éloigner d’un tableau impressionniste pour le voir, il faut
s’éloigner de ce parfum pour le sentir et seulement nous réalisons que tout est
très juste et à sa place, que c’est bien un œillet qui se dessine sous nos yeux
dans une ambiance classique, certes, mais moderne et facile à porter.
Facile à porter, c’est bien
ce qu’on ne pourra reprocher à l’œillet Louis XV d’Oriza Legrand. C’est le plus
perruque poudrée de la bande. Cet autre descendant du Bellodgia joue les épices
et la fleur sur un fond cosmétique très poudré. A lui les rires hystériques de
drag queen versaillaise, les persiflages de cour et les liaisons dangereuses. C’est
Versailles (Versailles jadis, débridé et quelque peu libertin, pas le
Versailles actuel…), c’est une fête, mais sa note finale, posée, songeuse de
poudre épicée sur peau, incroyablement tenace, marque bien que la fête est finie.
Et comme Madame du Barry, j’ai envie de dire « Encore un instant, je vous
prie, Monsieur le Bourreau. »
Mais lorsque nous portons
nos parfums qui ne sont plus produits ou dans des versions anciennes qui n’existent
plus depuis longtemps à cause des reformulations diverses, ce « encore un
instant… » c’est un peu notre pain quotidien, ne trouvez-vous pas ?
La réhabilitation de l'œillet semble ne pas prendre. Pour preuve les jolies tentatives de Prada et d'Etro n'ont visiblement pas su trouver leur public. Dommage car l'œillet tient à la fois de la fleur et de l'épice et son odeur est incomparablement belle et unique. Je regrette souvent de ne pas faire de réserves...
RépondreSupprimerUnique... Comme nous? Ce qui expliquerait ces échecs? Ce fut un échec complet. Lutens avait rejoint le mouvement mais son vitriol était un échec per se avec son poivre rependu sur la savonnette sans aucun lien entre les deux, juste une rupture passablement violente et inconfortable pour un parfum qui décevait à la fois les amateurs d'épices et ceux de savonnettes. (Il eut été mieux venu de séparer ces notes en deux parfums distincts.)
SupprimerEnfin, il nous reste quelque gouttes à l'œillet dans nos placards et beaucoup de souvenir...
De ces parfums, j'avais essayé oeillet Louis XV, mais finalement, je trouve que c'est une note un peu écoeurante sur la durée, peut être le côté épicé... Par contre j'aime bien le savon oeillet de Roger & Gallet.
RépondreSupprimerJ'aurais plutôt cru le fond un peu trop doux parce que la note épicée n'est pas celle qui tient le plus... Mais de fait, il est assez difficile à porter avec ce parti pris "vieux-ancien" qui fait son intérêt en le décalant mais peut aussi décourager. (Pas que le savon de R&G soit le moins du monde jeune et à la mode, mais c'est un autre genre.)
SupprimerRhâââ le retour des billets sur les parfums. Vous êtes un génie.
RépondreSupprimerHélas, non, mais j'aimerais bien.
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