« Swann était habillé avec une élégance qui, comme celle de sa femme, associait a ce qu’il était, ce qu’il avait été. »
Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1921.
Ce n’est pas très mode le beige, ça manque un peu de flamboyance pour être fashion. C’est plutôt la couleur de l’élégance classique, discrète, c’est la neutralité suisse, riche et confortable peut-être, mais qui ne fait pas rêver. Ce n'est pas avec du beige qu'on excite le taureau. Ce n’est pas la couleur dont on imagine nommer un parfum. Mais en considérant que Chanel est passé de maison de mode à maison de luxe, le beige prend tout son sens.
Taillé au cordeau, tel un jardin à la française, le parfum beige, je fais ici référence à l'extrait, est un bouquet de fleurs blanches qui fait honneur à la réputation d’abstraction de la maison. On identifie les aldéhydes par habitude en se disant que « ça sent le parfum ! » (C’est une très bonne chose dans une époque ou tout en parfumerie sent la baby powder, la lessive ou le shampoing mais pas le parfum !) On pense sentir l’aubépine, on reconnaît le jasmin, indolique mais pas trop, malgré une pointe d’exotisme dû à l’Ylang et à la fleur de frangipanier et sans savoir comment ni pourquoi, on a des vision de mimosa parce que toutes ces fleurs blanches semblent bien jaunes et parées d’un nuage de poudre qui évoque les pompons. On a aussi des visions de lilas et de brins de muguet... Le parfum se fond dans la chair par un nuage de bois blonds. Le plus curieux, c’est une note miellée qui évoque le nectar de la fleur sans être sucrée ou envahissante. Ce miel se fait dorure sur la peau, mais une dorure patinée, à l’éclat assourdi. Cadeau ultime, beige a le mérite d’être frais, de se réchauffer doucement sans sombrer dans le capiteux lascif, dans la volupté facile.
L’extrait est à la fois extrêmement joli, élégant et gracieux dans un genre sans tapage d’extrêmement bon ton. Il possède aussi une sensualité discrète qui évoque la chair caressée par le cachemire beige et les perles de culture. Au premier abord, on le croirait trop sage, ennuyeux, lisse. Il faut se donner le temps de le connaître pour goûter pleinement sa retenue luxueuse. L’absence de tapage ne le rend pas modeste, il a l’autorité d’une personne bien née, et, surtout, son luxe bien fait ne l’empêche nullement d’être poétique. Il crée autour de lui un halo d’or pâle qui plus que le parfum de Patou ou celui de Dior évoque la joie et plus que la tubéreuse du Beautiful de Lauder évoque la beauté.
Je crois bien que c’est l’un des parfums les plus faciles à porter qui soient. Il est à l’aise partout (Bon, peut-être pas sur une barre de pool dance), flatteur sur tous, sans pour autant être passe-partout. Son luxe est discret, pas écrasant et pas « panoplie et total look, admirez ma splendeur ! » Très beige ? Moderne, certainement, mais avec cette dose de classicisme et ces codes maison qui le rendent déjà un peu intemporel, il rajeunira les dames en N°5 et parera d’une élégance un peu plus demoiselle les gamines en sucre. On ne regrettera à son propos que ce statut d’exclusif élitiste. Qu’on ne lui reprochera pas sachant que le bon goût n’est pas nécessairement vendeur. Hélas !
Beige, Jacque Polge pour Chanel, extrait, 2014.
Merci pour cette excellente et très précise description de ce parfum. C'est vrai qu'avec ce nom on peut se demander : mais à quoi cela ressemble-t-il ? Et bien, tout est dit, et bien dit !
RépondreSupprimerMerci! Oui, le beige, c'est un peu fourre-tout... Ici, c'est plus l'idée de classique et neutre qui est rendue avec un parfum équilibré que la couleur en elle-même.
SupprimerPfiou mais cette envie de courir rue Cambon le sentir en lisant ton texte. Sublime. Merci pour cette dose de beauté ♥
RépondreSupprimerVraiment, il vaut le détour. Classique, mais pas tant que ça, il se laisse distinguer sans faire de tapage, c'est rare et précieux de nos jours.
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