« Parfois, elle voulait essayer de retrouver, en marchant seule dans une forêt, la source des vraies joies. »
Marcel Proust, Violante ou la mondanité, 1896.
Avec un parfum baptisé Yuja (le yuzu en coréen) on se dit que le groupe Lauder veut partir à l’assaut du pays du matin calme. On sait que pour beaucoup de marques, de groupes, vendre du parfum en Asie est un challenge, il y a un potentiel, mais le marché, avide de cosmétiques n’est pas très réceptif au parfum… Jo Malone avec ses compositions accessibles, une large gamme d’hespéridés est un bon cheval de Troie. Quand je parle d’accessibilité, je ne pensais pas aux prix, le positionnement est raisonnable cependant, je pensais aux odeurs assez simple, facile à lire, décrypter, qui font plaisir et sont toujours chic sans être des parfums « statut social » très composés, très intellectuel et/ou bourgeois. Lauder oriente de plus en plus la marque vers le mainstream (ventes dans de grandes chaines de parfumeries, en grands magasins) et je pense que c’est un choix judicieux. Ce qui était niche il y a 30 ans ne l’est plus vraiment aujourd’hui et je rêve que le mainstream propose autant de choses aussi jolies, agréables, faciles à porter et à aimer que les compositions de Jo Malone en lieu et place des sempiternels bois ambrés et vanilles lourdingues qu’on nous sort régulièrement. (Régulièrement : trois fois par jour, plus ou moins, merci les flankers.)
Le yuzu, j’aime beaucoup. C’est ce petit agrume asiatique qui ressemble au citron mais aurait remplacer l’acidité par de l’amertume. (Sans le côté soufré du pamplemousse, c’est plus proche de l’orange amère.) C’est un peu plus distingué, dépourvu des connotations produits ménagers que peu avoir le citron. Et puis l’amertume, ça implique toujours une petite poésie. Chez Malone, on mise surtout sur le cocktail, le yuzu/yuja n’est pas très fidèle. Ce n’est pas le but, ce n’est pas un reproche, mais le nom prête à confusion. Les agrumes éclatent au départ, on identifie le yuja, il y a aussi des notes vertes, on bascule très vite sur un néroli très cologne qui se marie à la sauge pendant que le fond monte doucement, se fait de plus en plus perceptible.
Ce fond, c’est une jolie note de pin (et de cèdre), verte et fraîche, qui évoque la foret humide. En soi, l’idée est simple, mais le rendu est saisissant de naturel, extrêmement fluide. Et dans le fond, nous sommes sur un parfum assez original. Dans le même genre, il y avait Nuit Etoilée d’Annick Goutal qui passait également de la cologne à la foret de pins mais la transition était assez brutale. Une note de menthe rendait le parfum immédiatement jouissif quand on le portait. Yuja est plus posé, moins fun, mais plus harmonieux. Très agréable en été, je crois qu’il sera magnifique dans le froid de l’hiver. (Mais probablement plus au catalogue.)
Ce n’est pas un parfum qui fera délirer le poète en odes interminables, mais il possède sa petite magie propre de promenade en forêt. On se prend à rêver qu’on est Jane Wyman dans tout ce que le ciel permet (Douglas Sirk, 1955) qui s’en va retrouver dans une cabane au fond des bois un Rock Hudson qui l’attend en lisant Thoreau.
Yuja, Mathilde Bijaoui pour Jo Malone, 2020.
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