eternal spring

“Elle avait maintenant des robes plus légères, ou du moins plus Claire, et descendait la rue où déjà, comme si c’était le printemps, devant les étroites boutiques intercalées entre les vastes façades des vieux hôtels aristocratiques, à l’auvent de la marchande de beurre, de fruits, de légumes, des stores étaient tendus contre le soleil.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1921.
l'eau bleue Miu Miu

Il y a des créateurs auxquels on fait confiance et c’est parfois problématique. On peut être déçu, valider par automatisme. Mais enfin, JE crois (ça n’engage que moi) qu’on peut faire confiance à Daniela Andrier. Depuis l’infusion d’iris pour Prada ou [Untitled] pour Maison Martin Margiela, elle a démontré qu’elle savait efficacement faire quelque chose de joli et qu’elle maîtrisait les matériaux que l’époque mettait à sa disposition. Qu’elle fasse des choses élégante ou pointue, ses créations ne sont jamais ratées et toujours signées avec ce côté un peu embêtant de la signature qui peut donner une impression de redite… Mais c’est très habilement exploité par Prada-Miu Miu qui sortent des parfums très cohérents entre eux qui forment un univers particulier dans lequel on peut se sentir à l’aise, n’être pas dépaysé et dont on peut refuser de sortir, exactement comme on reste chez Chanel ou Guerlain.

L’eau bleu vient après un premier parfum Miu Miu éponyme et joue les flankers. Ça aussi, c’est un peu dangereux. Le premier parfum de la marque était réussi sans être merveilleux, on sentait qu’il avait voulu faire un Chloé et partir à la conquête du monde en passant par les blogueuses mode et en devenant l’un des accessoires des filles à la page. Le souci, c’était que pour un parfum signature, il était un peu faible. Flanker et qualifiée d’eau, les attentes vis-à-vis du nouveau Miu Miu sont moindres et c’est tant mieux.

L’eau bleue semble avoir voulu mettre le printemps en flacon : des fleurs, dont un muguet qui tire sur le lilas, et une ambiance verte et humide qui évoque les tiges sortant du vase. Le fond, un patchouli boisé très transparent et des muscs blancs mérite d’être cité parce qu’il confère de la tenue. Mais quand je vous disais que Daniela Andrier maitrisait les notes modernes, c’est exactement ça : elle s’en sert mais ne leur laisse pas prendre le dessus et s’arrange pour les laisser jouer leur rôle de fixateurs tout en discrétion en nous évitant les rappels de lessives et d’adoucissants risqués dans ce genre de composition. Le petit détail qui fait la différence dans cette ambiance fleurie, et peut-être bleue, effectivement, c’est ce joli départ vert, effectivement mouillé, qui n’a rien à voir, je vous rassure avec des notes marines ou océaniques, mais qui évoque la tige croquante où coule la sève.

Moi, j’aime beaucoup, surtout en ce moment où je lutte contre la dépression hivernale. C’est joli et délicat, c’est léger, c’est un avant-goût des beaux jours comme les bulbes de jacinthes qu’on force dans nos appartements, un petit plaisir qu’on s’offre comme un vêtement trop léger pour la saison qui nous faisait tellement plus envie que les manteaux d’hiver soldés. Vous vous doutez bien que j’ai été sensible aussi, et surtout, à ce départ vert qui s’oppose gracieusement aux pâtisseries indigestes qu’on veut à tout prix nous servir. Ce n’est peut-être pas une œuvre majeure, mais c’est fort bien fait et fort joli. (On sous-estime parfois le charme des parfums non prétentieux !) Si ça peut lutter contre la dépression hivernale, je me dis que c’est déjà bien et qu’il ne faut pas nécessairement en demander plus.


L’eau bleue, Daniela Andrier pour Miu Miu, 2017.

Commentaires