jeux de dupes

“Car l’instinct d’imitation et l’absence de courage gouvernent les sociétés comme les foules.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1921.

Il y a quelques temps, je vous reparlerai des circonstances, on m’a fait jouer à un petit jeu : il s’agissait pour trois parfum de parfumerie « sélective » de sentir à l’aveugle l’original et sa copie bon marché « Equivalenza » pour voir si la version pas chère valait vraiment la version luxe, argument massue des copieurs qui assurent que les marques nous arnaquent en légitimant ainsi leurs pratiques douteuses. Je ne suis vraiment pas favorable à la copie, même si elle était réussie, pour une question de principe : ça tue la création et fait du parfum un pur objet de commerce dont on évalue le prix uniquement en fonction des matières premières et du flacon, exactement comme si on jugeait un tableau uniquement en fonction du prix des pigments et de la toile. C’est aussi oublier qu’il a fallu investir, payer un nez, des vendeuses, financer des campagnes de communications sans lesquels il est presqu’impossible de vendre de nos jours. Faite le parfum le plus beau du monde, si personne ne le sent…

Les premières secondes furent assez bluffantes, on pouvait s’y tromper. Il y avait un aldéhydé très Chanel, un floral générique assez luxueux typiquement Dior-nouvelle manière et une fougère masculine assez anonyme. (Je n’ai pas reconnu le Male de Gaultier.) Mis à part la fougère, on ne savait pas distinguer l’original de la copie, il y avait des nuance mais trop peu significatives… La fougère n’était pas plus vilaine dans l’une ou l’autre version mais différente. Mais c’est après que ça se joue. Oh, pas très longtemps après, 5 minutes. L’aldéhydé copie s’effondrait dans une plate note insignifiante, là où le vrai Chanel développait une jolie note florale, assez qualitative, le Dior maintenait son beau sillage floral qui sentait bon le parfum quand sa copie virait à la trace d’assouplissant bon marché sur le linge. Quant à la fougère, différente, plus cheap en copie, c’était au fond celle qui s’en sortait le mieux. Un porteur du Male n’aurait pas reconnu son parfum, mais ce n’était pas déshonorant pour un parfum « petit prix. » Reste que le petit prix se sent, même si on nous jure que ce sont les autres qui nous mentent et nous vendent la même qualité trop chère. Bref, les copies ne passent pas le test. (Et je ne me suis pas ridiculisé puisque j’ai fait 3/3 !)

La copie est décevante. Perceptible, nettement plus cheap. De toute façon, lorsqu’on aime un parfum, il s’agit d’une formule précise dont la moindre variation déprime et frustre. (Ce n’est pas pour rien que les reformulations nous traumatisent !) Ce n’est pas pour rien que je dis à ceux qui aiment un parfum trop cher pour eux de ne pas chercher « quelque chose dans le même genre mais moins cher » parce que cela ne fonctionne JAMAIS. On accumule des parfums décevants, qu’on aime bien mais. Et on finit toujours par acheter l’original plus cher. Quand on n’a pas les moyens, ce qui hélas est fréquent, surtout depuis que les marques pratiquent des politiques de tarifs ridiculement élevé pour des raisons de prestige, il vaut mieux aller voir après autre chose. De très différent. Viser dans la catégorie que l’on peut s’offrir, celui qui nous plaira vraiment. Celui qui  est beau en soi. Bien fait. Celui qui nous plaira vraiment et pas pour une ressemblance avec un parfum plus prestigieux.

Pour illustrer le billet, j’ai mis côte à côte deux flacons contenant de jolies choses qui font plaisir : Amouage, la très luxueuse ligne d’Oman et Mont Saint Michel, la très cheap ligne de colognes bien faites. Je ne leur demande pas la même chose, mais les deux me plaisent et me procure du plaisir. Fauché, j’irai volontiers me parfumé chez Mont Saint Michel ou Roger et Gallet, pas comme pis-aller mais parce qu’il y a de jolies choses, vraiment belles qui donne beaucoup de plaisir. Les matières sont peut-être moins précieuses, mais, joliment assemblées, elles n’essayent pas de paraître précieuses, juste de bien faire leur boulot d’honnête sent-bon. Joli et sans prétention, ça devient même très chic, très élégant. Bien plus que ces affreux nouveaux riches poseurs qu’on peut sentir en niche et qui n’offrent aucun travail sur la matière, juste une saturation de la note principale qui tente ainsi de faire luxe. Mais un tel luxe, ce n’est pas forcément beau. Et rarement élégant. Et ce qu’on aime, c’est le Beau, non ? (Pas nécessairement le prix.)

Commentaires

  1. Merci Dominique. Je partage vraiment votre point de vue... J'ai tant de acheté de parfums car je ne pouvais m'offrir l'ULTIME parfum qui aurait pu mon combler à l'époque. C'est ce qui a permis la construction de ma collection actuelle. Je n'en renie aucun (sauf Poison, peut-être, car impossible à porter chez moi comme au bureau., en randonnée peut-être, mais je crains d'attirer les moustiques...). Aujourd'hui, plus nantie (quoique...), je peux m'offrir ce que je veux, mais je demeure une amateure de bonnes affaires et de petits prix. J'aime énormément la marque Roger&Gallet, dont tant le ''packaging'' et les jus sont délicieux et accessibles. L'Occitane est aussi très bien, avec les fleurs de cerisier et la collection de Grasse... Je me suis procuré l'été dernier le fameux pamplemousse-rhubarbe... à tomber. Non, on ne doit pas bouder les marques plus modestes et tomber dans la vulgaire copie. Votre démonstration d'un parfum copié est probante... Merci de nous instruire sur ce passionnant sujet qu'est le parfum!

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Oui, il y a plein de petites choses pas chic qui sont un peu bonheur qu'il ne faut pas bouder. Il y a moyen de faire du bon et beau pour pas cher, type cologne ou eau de senteur, qu'on serait bien bête de bouder. Personellement, je reste en été un inconditionnel de la très jolie Verveine de l'Occitane, bien qu'elle soit rudement concurrencée par l'eau du Couvent de Minimes. Quand à R&G, que dire? Qu'en ce moment, je ne me lave qu'avec le savon à la rose peut-être?

      Supprimer
  2. Bonjour Dau,

    en effet, pour avoir fait quelques tentatives auprès des copieurs qui l'affichent (Pirate Parfums, Equivalenza ...) ou pas, chercher un "dupe" moins cher de son parfum est toujours décevant, surtout, comme vous le dites si bien, sur le long terme. Mais je pense que nous avons tous un jour assisté à la scène ou quelqu'un vaporise un ou deux pschitt de parfum sur une mouillette ou sur la manche, le renifle 3 secondes et s'écrie "ça sent trop bon, je le prends !". Je pense que c'est ce genre de clientèle que visent Equivalenza et consorts, et d'ailleurs aussi beaucoup de marques (y compris certaines avec un beau passé) qui mettent tout le charme de leurs créations sur les notes de tête, la suite n'étant composée que des éternels muscs blancs avec un léger fond boisé.

    Etant également amatrice de marques à prix modéré, j'ajouterai à la liste de Sophie la marque Yves Rocher, qui sort de temps en temps de très jolies choses, les colognes 4711 et la marque Berdoues.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Bonjour,

      Les marques pas chères qui font de jolies choses, c'est une longue liste et même certaines marques connotées "luxe" font des parfums pas forcément hors de prix. Chez Jill Sander ou Elizabeth Arden, on peu trouver son bonheur sans se ruiner par exemple.

      Oui,il faut vendre en 5 minutes est un tic particulièrement agaçant de l'époque. Mais, là, c'est vraiment la faute au public!

      Supprimer
  3. Notons aussi des petites maisons de parfumerie alternative comme Chidho ou Sacky qui font le choix de minimiser la communication et le marketing pour minimiser les coûts.

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. En fait, il suffit de chercher et d'être curieux... Même si parfois, quand on sent que dans une ligne exclusive, le créateur a pu dépenser sans compter, ça fait bien plaisir. C'est pour ça que j'ai illustrer avec Amouage, parce que c'est vraiment l'impression que la marque donne.

      Supprimer

Enregistrer un commentaire