apologie

Encore un livre sur Chanel. C’est d’ailleurs la première chose que l’auteur dit. D’ailleurs, Isabelle Fiemeyer veut tenter de comprendre pourquoi Gabrielle Chanel fascine plutôt qu’écrire une biographie de plus. L’intention est louable.

D’abord, elle s’intéresse à la façon dont la couturière s’est mise en scène en s’entourant de symboles et puis, surtout, en se racontant. En inventant son histoire, plutôt, en la réinventant constamment, ne supportant plus en avançant en âge de dire la vérité. L’ouvrage est joli, richement illustré. Puis vient une dernière partie qui tente de faire le point sur la période de la guerre et de rétablir la vérité. Ou d’en établir une tout simplement. Cette partie-là est nettement moins intéressante… Finalement, après avoir passé son temps à expliquer que Chanel s’était elle-même érigée en mythe et niant toutes les vérités qui la dérangeaient, je trouve un peu bête de s’attarder sur un détail du mythe pour parvenir à une vérité.

Ah, mais justement, ce point précis, c’est celui qui embête la maison Chanel dont on se dit qu’elle est très contente de voir fleurir ce genre d’ouvrage assez apologétique. En gros, Chanel a tout inventé, elle a libéré les femmes, blabla habituel et lassant. Gabrielle avait beaucoup de talents, sa mode était créative, inventive et intéressante, mais elle n’a fait que traduire l’air du temps, l’accompagner. Dire que Chanel a libéré les femmes, c’est à la limite de l’insulte pour toute celles qui se sont battue pour avoir le droit de vote, entre autres. Ok, Chanel a fait des vêtements confortables et pratiques, mais la libération des femmes, c’est peut-être plus qu’une affaire de jersey contre le corset, non?

En fait, ce genre d’ouvrage m’ennuie pour plusieurs raisons… Déjà, je lui reproche d’occuper tout l’espace Mode-Vêtement, dans les librairies et les bibliothèques au détriment d’autres ouvrages plus sérieux, plus intéressants, mais moins immédiatement vendeurs parce qu’ils demandent un peu plus que regarder des photos avec du texte en guise de commentaire et explication. (Si vous aimez vraiment le vêtement et la mode, essayer de jeter un œil sur les ouvrages publié par l’IFM, Institut Français de la Mode, ils sont franchement passionnant et donnent à réfléchir. Et il y en a aussi sur Chanel : l’indémodable total look de Chanel par Jean-Marie Floch.) Quid des varies analyses des styles, de l’examen des données sociologiques, économiques ? 

Globalement, les industries du luxe et de la mode investissent de plus en plus le secteur de l’art et de la culture via des livres à leur gloire ou des expositions qu’elles organisent etc. Et ça, je n’en ai pas envie. L’industrie, ce sont déjà des lobbies qui exercent une pression économique et qui veulent influencer le politique. Je n’ai pas envie qu’elle vienne en plus annexer la culture. D’autant qu’elle tend à en faire un instrument de publicité…

Et puis alors, surtout, j’en ai marre d’entendre parler de mythe et de mythique. Vous vendez des sacs et des parfums. On ne peut pas être tombé des mythes grecs au 2.55 matelassé. Gardons les choses à leur place sinon, nous serons tombés bien bas. Bien sûr, le mythe ça arrange beaucoup de choses, à commencer par le prix qui n’est justifié ni par la main d’œuvre, ni par le coût des matières premières. L’augmentation, c’est un positionnement luxe et rien d’autre. Et en plus, on voudrait presque que dans certaines boutiques le client dise « merci de m’avoir autorisé à acheter un peu de mythe » avec humilité et reconnaissance.* Franchement, j’ai juste envie de dire aux marques : « Vous n’êtes que des fournisseurs, restez à votre place! » Parce que je peux très bien me passer des marques. Et vous ?


Et pour revenir au beau livre, il fera plaisir comme cadeau de Noël. Mais un livre ne doit-il qu'être un bel objet à feuilleter? Ne peut-on espérer plus d'une lecture?


Isabelle Fiemeyer, Chanel, l'énigme, Flammarion, 2016.


*Je ne parle même pas des commentaires de Karl à propos des femmes grosses qui n’ont pas leur place dans la mode tellement c’est ridicule. D’ailleurs, je trouve un peu facile de faire des vêtements sans se soucier de leur portabilité puisqu’ils ne seront jamais photographiés que sur des cintres vivants. Cristobal Balenciaga savait flatter toutes ses clientes, lui. Ça correspond plus à ma vision du couturier doué.

Commentaires

  1. Excellent billet, je partage votre point de vue sur le fameux mythe Chanel qui ''semble'' vouloir justifier les prix stratosphériques de cette marque. Car au fond, ce n'est qu'une marque maintenant... Mlle Chanel doit s'être retourné souvent dans sa tombe devant tout ce qui a été fait de son nom... Je ne crois pas qu'elle aurait mépriser les grosses femmes comme l'a fait si souvent Karl Lagerfeld.

    J'ai trouvé il y a quelques jours, dans une librairie d'occasion, le livre de Paul Morand L'allure de Chanel. Ce sera sans doute fort intéressant et éclairant sur la personnalité de cette femme incomparable...

    Ceci dit, les beaux livres sur la mode et le parfums font rêver... Et, pour la plupart d'entre nous, rêver, c'est tout ce que nous pouvons faire devant tout ce luxe... inaccessible!

    Bonne journée!

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    1. Oh oui, elle doit danser la danse de Saint Guy dans son cercueil avec tout ce qui se fait en son nom.

      Le Morand est un ouvrage de commande, mais c'est plaisant à lire, en sachant que c'est l'une, parmi d'autres, des versions que Gabrielle a données de sa vie.

      Je suis le premier à aimer les beaux livres qui font rêver, mais j'aime aussi qu'on parle à mon intelligence, pas juste à ma concupiscence. Je ne veux pas que du rêve, je veux aussi apprendre, comprendre. Bien sûr, en comprenant, on rêve certainement moins..

      à Bientôt

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  2. Je vais totalement dans votre sens. Je trouve qu'Isabelle Fiemeyer ne s'est pas trop foulée dans ce nouvel ouvrage et que son point de vue doit arranger la Maison Chanel. Du coup, est-elle totalement "libre" de sa plume ? En revanche, L’indémodable total look de Chanel par Jean-Marie Floch m'a beaucoup déçu... Tant de pages pour finalement ne pas dire grand chose sauf enfoncer des portes ouvertes, non ? J'en attendais peut-être trop...

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    1. Libre? Je ne sais pas, mais enfin, c'est vendeur et encore plus si ça plaiît à la maison Chanel, je suppose Un livre un tout petit peu critique risque de n'avoir aucun écho dans le milieu et il ne peut se vendre que dans le milieu pourtant Compliqué!

      L'indémodable total liik m'a bien plus parce qu'il proposait une vision et une analyse avec laquelle on peut être plus ou moins d'accord et que j'aurais aimée plus fouillée, mais qui au moins était facilement lisible par tous sans prendre les gens pour des idiots Ce n'est pas un indispensable, mais c'est une lecture plaisante et instructive malgré tout pour les néophytes

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