èclat

“...le naturel qu’il y avait dans ses cravates lavallière toujours flottantes, dans son veston droit presque d’écolier...”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Rue Cambon, Cristalle fait un peu figure de mal aimée, toujours dans l’ombre de ses sœurs qui, elles, ont droit à des extraits. Comme s’il lui manquait quelque chose pour atteindre le prestige des autres classiques Chanel. Certes, elle est née au mauvais moment, entre le règne de la Grande Mademoiselle et celui du Kaiser Karl, une période ou le luxe hégémonique de Chanel était un peu moins évident. Difficile de prétendre qu’avec Cristalle, Chanel  a tout inventé, comme ils adorent le faire rue Cambon, le modèle de l’eau chyprée avait été lancé par Dior et Chanel pouvait faire figure de suiveur un peu à la traîne.


Pourtant, Cristalle est bien autre chose qu’une eau chyprée, elle est un vrai parfum vert, fleuri et chypré, plus veste de tailleur  our la ville que polo pour le tennis. Un parfum auquel on peut se vouer tous les jours de toute l’année et pas un plaisir saisonnier. Des notes vertes comme un gazon anglais, un peu terreuses par instant, des agrumes, un peu, pas trop, et des fleurs, poétiques comme le chèvrefeuille mais raidies par la jacinthe, qui se tient droite, hautaine, n’oubliant jamais qu’elle est une dame. Cette jacinthe qui a autant dû inspirer le Bas de Soie de Lutens que le N° 19 généralement cité seul. Cristal n’est pas dépourvu de poésie, mais il est aussi très net, carré, accompagnant à la perfection l’intransigeante esthétique noire et blanche initiée par Gabrielle : austère, à première vue, facile à vivre, faussement pauvre mais  très luxueuse au fond, comme le chypre qu’on devine dans le parfum. Le tout avec une belle transparence cristalline et une note lointaine note de fruits gorgés d'eau qui le rattache au registre "frais pour l'été" auquel certains veulent injustement le limiter.

Le lait pour le corps mérite une mention spéciale : moins vert, moins raide, il est plus chypré, plus moelleux. Alors que l’eau de parfum des années ’80, plus fleurie, mièvre, me mérite que le mépris tant elle a un côté petite joueuse qui n’ose pas vraiment. 

Quand porter Cristalle ? Quand on a envie d’élégance, moderne et vraie, pas les grands tralalas vulgaire des greluches-égéries l’Oréal sur tapis rouge à Cannes, et quand on n’a pas envie de se laisser marcher sur les pieds. (Ce qui personnellement m’arrive à peu près tous les jours.) Pour séduire ? Oui, aussi, bien sûr, mais à condition d’avoir une tête et de savoir s’en servir. Pas nécessairement intellectuelle, Cristalle est une cérébrale qui porte bien son nom, de l'éclat de cristal, elle a la brillance et le tranchant.

Cristalle, eau de toilette, Henri Robert pour Chanel, 1974.

Commentaires

  1. Saisissant de justesse ! Merci, Dau. :)

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  2. Je suis tout à fait d'accord avec cette analyse. Je ne m'y connais pas absolument pas en termes précis de parfum, mais je suis retournée à ce parfum de mes vingt ans , étudiante à Paris. Je trouve les parfums actuels sirupeux, vulgaires et j'ai longtemps hésité à replonger vers ce parfum. Aucun regret. Il est bien moi.

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    1. Ah, clairement, son chic toise la mode de notre époque avec mépris... ;-)

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