mythe

“Il y avait bien dans tous ces attraits inutiles un peu de mensonges, mais ils faisaient de sa vie une comédie d’une complication scintillante…”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

Dans l’univers Chanel, tout est noir et blanc, bien carré. Gabrielle a inventé la modernité et le N°5 est son fleuron inchangé depuis 1921. Bien sûr tout n’est pas aussi net. Les biographies de Chanel sont un régal de ce point de vue tant les mensonges de la belle Gabrielle forment de jolies histoires toutes différentes qui nient les vérités douloureuses et peu flatteuses. Pas étonnant que sa maison continue de nier les évidences et nous assène à longueur de temps que le N°5 est toujours pareil à lui-même. Du bout des lèvres, on admettra que, certes, on s’est plié aux réglementations mais en ajoutant aussitôt que l’extrait est intacte et qu’il est l’authentique N°5.

Pourtant, de façon amusante, on admet avoir adapté le flacon à l’esthétique des époques qu’il a traversées. Le jus est lui aussi toujours adapté. C’est fait intelligemment et subtilement : par petites touches régulières qui ne se perçoivent pas d’un flacon à l’autre jusqu’à ce que la cliente fidèle remarque que son N°5 ne tient plus autant. Ou que l’infidèle revienne au 5 après des années d’errance en d’autres contrée parfumées et ne reconnaissant pas celui qu’elle a porté. Je suis un infidèle. Honte sur moi. Mais après avoir découvert et aimé le N° mythique dans les années ’80, je suis incapable de reconnaître mon parfum intermittent de plus de 20 ans dans les flacons qui s’achètent aujourd’hui. C’est lui et ce n’est plus lui.

L’extrait, soi-disant authentique, me semble défiguré, tant il n’est plus qu’un beau, un magnifique jasmin, où je retrouve à peine l’aldéhyde et où je cherche en vain la richesse du fond. Un peu étrange pour ce "parfum de femme à odeur de femme" qui ne veut pas "sentir le parterre de roses" dixit Gabrielle. On suppose que le parterre de jasmin, c'est ok pour Chanel... Très honnêtement, ça reste somptueux, simplement, c’est autre chose. C’est probablement, comme pour toute les versions, plus portable aujourd’hui qu’une version inchangée qui serait démodée, sentirait la vieille. Le N°5 n’est ni jeune, ni rock, mais il passe bien dans l’époque. Simplement, contrairement à ce que pense celle qui porte une goutte de parfum pour aller dormir, il n’a plus grand chose à voir avec le parfum de Marilyn.

L’eau de toilette a toujours été ma version préférée, ouvertement synthétique et lumineuse quand je l’ai découverte, elle est à présent un peu atténué, moins resplendissante. Patinée, moins ouvertement laque et vernis, elle est aussi et surtout plus discrète, plus fugace. Cela dit, elle reste ma version préférée, celle qui par son scintillement, sa radiance donne le plus de plaisir, de joie.

L’eau de parfum sortie dans les années ’80 était insupportable tant elle collait à l’époque, et je vous rappelle que le triomphe de l’époque, c’était Poison, un Poison bien plus virulent que la petite chose actuellement en vente, et le N°5 s’offrait une version épaulée, très patchouli, franchement nouveau riche et même vulgaire. Le temps l’a bonifiée, elle s’est adoucie, assagie, ne brille pas autant que l’eau de toilette, mais est fort joliment poudrée et fine. Objectivement, c’est peut-être la meilleur variation N°5 actuellement si la tenue est un critère pour vous. Pour la joie, je préfère vraiment la brève eau de toilette, mais aux débutant, ce n’est pas nécessairement elle que je recommanderais, ils seraient probablement un peu déçus du mythe.

L’Eau Première est une version que j’ai adoré à sa sortie, claire, lumineuse, dépoussiérée, nettoyée, rajeunie, mais fidèle et belle malgré tout. Au doré solaire, elle opposait l’éclat plus pâle du platine. Le mythe s’était embourgeoisé, elle lui rendait vivacité et jeunesse, elle fusait, pétillait, riait. De façon étrange, elle s’est rapprochée de l’eau de parfum et fait un peu doublon avec elle. Il fut un temps, j’aurais dit prenez les deux, mais à l'heure actuelle, je les trouve si proche que j’aurais tendance à conseiller l’une puis l’autre si l’envie vous vient de continuer à porter le 5.

Je ne porte plus ce parfum. Non que je sois lassé. Non qu’il soit devenu infréquentable ou laid, je regrette même de voir qu’il n’est plus comme il le fut longtemps N°1 des ventes, mais parce que la politique de la maison m’agace. Les autres ont au moins le mérite de dire que les choses ont changé, en s’abritant derrière l’IFRA, bien sûr, ce qui n’explique quand même pas tout. Certains font de leur mieux et continuent à proposer des versions tout-à-fait valables, comme le fait Chanel, mais ne mentent pas. Et je préfère être client chez eux.

N°5, Chanel. (Version originale Ernest Beaux, 1921.)

Commentaires

  1. Je comprends carrément ton point de vue. C'est agaçant aussi je trouve ce discours, et pourtant Chanel est une maison qui fait les choses si bien dans d'autres domaines ou même en restant dans la gamme parfum en gardant une forte identité et cohérence de marque, que ça devrait pourtant être LA marque en parfumerie à oser expliquer à ses clients, ou du moins pas à Madame Toutlemonde mais à ceux qui le comprenne, que la parfumerie évolue et doit s'adapter... Qui sait, peut être qu'avec la nouvelle génération le discours va changer et se moderniser ?!

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  2. Quant à l'Eau de Toilette et l'Extrait, ils ont surtout beaucoup souffert dans les muscs, moins généreux et nitrés. Et dans les fleurs, moins affirmées. Le santal était encore bien présent dans l'EDT il y a quelques années, et qui donnait tout cet aspect moelleux et profond au fond du N°5, plus affirmé encore dans Bois des Iles.
    Je ne sais pas ce qu'il en est maintenant, je ne porte que la version EDP putassière des années 80 ! ;)

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    1. Le pire pour Chanel, c'est que, certes ils reformulent, mais c'est plutôt globalement bien fait, il n'y a même pas de quoi avoir honte... Pour l'EDP, à moins que ce ne soit une version vintage, elle n'est, Dieu merci, plus putassière du tout. Elle a retiré ses épaulette et c'est tant mieux! Pour l'edt et l'extrait, il y a aussi un manque de civette, le fond était passablement animal quand je l'ai connu, ça passait très bien, mais peut-être que ça passerait moins de nos jours?

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  3. Bonjour Dau
    Au début des années 80, on m'a offert une bouteille d'eau de toilette du N°5 et je me souviens que c'était du pur bonheur. Ma prof d'anglais m'a avoué une fois qu'elle adorait que je me mette au premier rang à son cours à cause du n°5. Des années plus tard, mon Papa se souvenait que c'était un de mes parfums, qu'il l'aimait particulièrement, et m'a offert l'extrait. C'était il y a 4 ans et là j'ai pris une douche froide : plus rien à voir avec l'eau de toilette, je ne pouvais même pas concevoir qu'un extrait soit complètement dénaturé par rapport à une eau de toilette des années 80. C'est là que j'ai réellement compris les ravages que pouvaient causer les reformulations. Cette année, c'est ma Maman qui m'a offert l'eau de parfum à Noël. Je me suis dit que ce parfum devait être proche de moi si, malgré son aura de mythe, mes parents s'en souviennent. C'est mieux que le parfum mais hélas, la magie n'est plus là. Comme "Musque-moi", je trouve que le tapis de musc s'est fait la malle, il n'y plus l'attaque des aldéhydes et en plus je trouve que la tenue est minable. Même pour l'eau de parfum. Je trouve que Chanel vit sur la réputation du mythe n°5, en se disant, "on est à l'abri, on peut se faire du fric sur le dos des gogos de consommateurs". C'est vraiment nous prendre pour des "truffes" que de nous rétorquer, en jouant les vierges effarouchées qu'il n'y a pas de reformulation : "refooormulation ? Mais quel gros mot ! Vous n'y pensez pas? Une maison comme Châânnnel!!!"
    On m'a conseillé le numéro 22 pour retrouver le plaisir du n°5 : mais là on rentre dans un autre domaine. Je ne suis pas sûre de vouloir débourser une somme astronomique pour retrouver l'ombre du fantôme d'un parfum qui m'avait bouleversée dans ma prime jeunesse...
    Bien à vous
    Cécile

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    1. Bonjour Cécile,
      Nous sommes dans la même galère: le N°5 est importable pour ceux qui l'ont connu il y a 30 ans, même s'il est encore beau et peut séduire des jeunes (de l'âge de Musque-Moi ;-) qui n'ont pas connu cette époque. Pas de tête, plus de fond, il ne reste pas grand chose. Ce sont surtout les aldéhydes qui me manquent personnellement, il n'y a plus cet éclat, cette aura qu'avait le 5. J'en ai fait mon deuil. Je me console un peu avec des vintages d'Arpège, assez faciles à trouver ou, de façon différente, je retrouve cette magie, ce rayonnement des aldéhydes sur fond fourrure... J'adore le N°22, mais je suis bien d'accord: c'est autre chose. Le proposer est un peu indécent, comme si on disait à un veuf d'épouser la sœur de sa femme pour se consoler... Et le prix, quand on pense qu'ils ont été longtemps tous deux vendus au même tarif, on peut se poser des questions. Questions dont la réponse est probablement bénéfices. Le mythe est bien écorné et ce n'est pas pour rien que les ventes du 5 chutent. Il s'est fait dépassé par la vie est belle qui a au moins le mérite d'être franc avec son sucre à haute dose et infiniment plus dans l'époque. Le 5 a un peu le cul entre deux chaises, essayant de parader en grand classique et au goût du jour à la fois avec des campagnes de pub (Gisèle fait du surf) qui ne collent plus du tout avec le parfum...
      Bref, moi, j'ai tourné la page, ce fut dur, mais on peut survivre sans le N°5. c'est dommage, mais...

      (Sinon, proche, il y a le Liu de Guerlain, plus sage, plus bourgeoise discrète, qui ressemble plus au N°5 que nous avons connu. Prix prohibitif également!)
      à bientôt
      Dau

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    2. Bonsoir Dau,

      D'accord avec ce qui a été dit pour le 5 (extrait)
      Il me reste cinq (Tiens donc ! ) flacons de vintage ( 2 oz 60 ml 1982) que je garde précieusement J'en use avec parcimonie , car hélas... J'ai voulu essayer la reformulation ...C'est un flop ...Adieu aldéhydes , Adieu civette , Adieu fourrure ...Adieu le peau à peau animal, quasi orgasmique ...On reste sur sa faim avec cet ersatz ..C'est à pleurer !!! (je dois être plus proche en âge de Musque- Moi ,je suis de la cuvée 1989 ) Ma tante Elise ne décolère pas, c'était son doudou réconfort.... Ma passion des vintages me réconforte et me colle en même temps le bourdon ...Je vais aller noyer mon courroux dans le lac Tissa et essayer de nouveaux thés.

      Bien à vous.
      Touti





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    3. Bonsoir Touti,
      Le vintage console et désole à la fois: on réalise ce qu'on a perdu, on découvre des merveilles quand il est trop tard. Et je pense que des parfums pareils, on n'e refera plus! J'espère une Restauration du Beau, mais je ne rêve pas. Je me console avec d'autres choses, d'autres esthétiques...

      Bon thé!

      Dau

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