elle sent aussi un peu moi...

"Cette réserve était simplement de bon ton."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1920.

Il serait bienvenu qu’un jour je commence un billet parfum par une anecdote familiale, un souvenir ému de mes aïeux, une grand tante excentrique ou… Mais cela n’arrivera pas, le parfum est arrivé dans ma famille par votre serviteur. Avant moi, cette futilité n’existait pas. S’il est un parfum qui pourrait être émouvant, ce serait Eau Sauvage. Mon premier parfum. Celui que j’ai le plus longtemps porté, que je porte encore, qui est devenu ma valeur refuge en quelque sorte. Je l’ai découvert par hasard. Je mise sur un échantillon récupéré quelque part. Je l’ai senti, je l’ai aimé et j’ai économisé mon argent de poche pour me l’offrir. C’est mon parfum originel, celui qui est à la source de tous les maux.

J’ai eu de la chance, du nez?, mais c’est plutôt un hasard, c’est l’un des plus grands classiques qui soient. Souvent oublié au profit des féminins plus glamour, il fait partie des parfums, rares, qui n'ont pas été que de grands succès, mais qui ont changé les choses, déplacé nos repères esthétiques, débarqué dans nos vie et donné d'autres habitude. Eau Sauvage, c'est le rejeton de la Cologne avec ses notes d'agrumes, son citron, et d'aromates -le beau basilic. Mais pas que. Ce serait trop simple. Avec sa dose massive de jasmin-hédione, c'est aussi la fleur. Et la mousse ne se marie pas au patchouli que pour lui faire un fond tenace. Sous l'odeur toute propre et nette, Monsieur Edmond n'a pas oublié qu'il y avait une peau. Eau Sauvage, c'est la mère des eaux chyprées, l'ancêtre glorieux qui a influencé toutes les maisons qui ont voulu leur eau. Pour l'été souvent, mais toute l'année pour certains. Pas que pour les hommes en plus: Eau Sauvage, c'est aussi le début non officiel de la mixité, le parfum qu'on emprunte, qu'on vole, sans vergogne à sa moitié.

Ce qui rend cette eau unique, moderne, très, c’est sa transparence, sa légèreté. Oubliées les lourdeurs de la bourgeoisie des années ’50, vive les années ‘60 et la jeunesse: le chic est frais, sportif. Oubliée l’opulence des fourrures de dame, les accords traditionnel du savon à raser à la lavande pour messieurs bien sous tous rapports. À vrai dire, elle est pourtant très élégante, très fine, très précise, sa construction est ciselée. Beaucoup de ses descendantes ont à côté d’elle un côté brouillon, qui peut être plus joyeux, parfois plus jouissif aussi(je pense à la fraîcheur juteuse de l’Eau du Sud par exemple), mais qui ne leur permet pas de passer comme elle, des jeans à l’habit de soirée. Elle habille et rend cool dans le même temps.


Pour moi, son chic tient surtout à son abstraction : Eau Sauvage sent Eau Sauvage et rien d’autre. Pas d’évocations paysagères, culinaires, pas de références marquées à une matière bien précise. Même ses descendantes n’ont pas réussi à banaliser l’Eau Sauvage. Il est vrai que l’époque n’était pas à la copie, si chacun a voulu son eau chyprée, on évitait de sentir comme le voisin. Le nombre restreint de sorties, à l’époque, aidait quand même un peu à ne pas trop se répéter.


Elle a marqué à jamais mon goût pour les eaux auxquelles je reviens toujours. Je pourrais ne porter que ça. Mais l’Eau Sauvage occupe une place particulière, elle n’est pas comme les autres, elle reste unique. Les différentes versions n’ont pas toujours été belles. Il y a quelques années, elle était anémique au point d’être importable, mais l’actuelle est tout à fait acceptable : moins de fond, c’est certain, mais on reconnaît sa finesse, son élégance. Elle a un peu vieillit, ne fait plus tous les jours très jeune, mais elle à bien vieilli, sait rester dynamique et fraîche. Plus agréable que les lourdeurs actuelles qu’on destine aux jeunes et qui semblent les engluer.Et comme vous le savez, sentir le vieux, ce n’est pas un problème pour moi. Plutôt vieux beau que fast fashion cheap.

Je suis content de ne pas l'avoir connue sur d'autre, elle ne sent qu'elle-même et elle sent aussi un peu moi et l'affreuse politique de flankers de Dior n'a jamais réussi à me gâcher ça.

Eau Sauvage, Edmond Roudnitska pour Christian Dior, 1962.

Commentaires

  1. Bonsoir Dau !
    Quel bel hommage que vous avez écrit là ! C'était l'eau de toilette de mon Papa l'été (l'hiver il portait Habit rouge); et il ne mettait plus que ça quand mes parents sont partir vivre dans des pays très chaud (ils étaient expatriés à Abu Dhabi en 1976).
    Edmond Roudnitska est mon créateur parfum préféré avec Olivia Giacobetti. Je donnerai cher pour trouver un flacon Diorella d'avant la reformulation. C'est pour cela que j'ai une tendresse particulière pour Le Parfum de Thérèse, car on y retrouve plusieurs de ses créations.
    Dans les créations d'Olivia Giacobetti, j'adore Fou d'Absinthe. Il y a quelque chose de fusant se terminant sur du velours qui me rappelle L'Eau sauvage, les agrumes en moins, comme une citation, pas comme une copie. L'anis bien présente chez Olivia Giacobetti pourrait être un parallèle avec le basilic d'Eau sauvage. En tout cas mieux vaut être Old-fashioned fancy gentleman que vieille peau couguar botoxée !!!
    Merci pour cette séquence nostalgie-émotion !
    Bien à vous
    Cécile

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  2. Bonjour Cécile,
    Oserais-je vous avouer que j'ai un Diorella vintage? Mais, s'il est infiniment plus beau que la version actuelle, je dois dire que la note melon est un peu trop présent et l'empêche d'être vraiment fidèle à lui-même. à choisir, mieux vaut peut-être le Parfum de Thérèse qui est une merveille en soi et encore plus quand on aime et connaît l'oeuvre de Roudnitska!
    Je comprends mieux d'où vous vient le goût des belles choses, c'est un héritage familiale! ;-)
    à bientôt,
    L'émotion était là pour moi aussi!
    Dau

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