le propre et le sale

le premier jour où j’avais rencontré Saint-Loup à Balbec, si blond, d’une matière si précieuse et si rare…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Albertine disparue, 1925.

kouros, Yves Saint Laurent
Kouros d’Yves Saint Laurent est un ambigu portrait de jeune homme, ou plutôt une étrange ambiance terriblement troublante si on lui prête attention. Je suis toujours surpris par ces gens qui le portent parce qu’ils l’ont senti rapidement et l’ont aimé en quelques instants, sans prendre le temps d’écouter toute la partition. Il est vrai que les années ’80 aimaient à aller vite et que Kouros se prêtait bien au cliché, mais Kouros est comme ces personnage de la Recherche, qui révèlent des visages successifs, différents et dont le narrateur ne sait dire s’ils ont changé ou s’il les découvre seulement sous leur vrai jour.

D’abord une sensation de propre terriblement chimique, agressive, une odeur de savon, de détergent, hygiénique, aseptisée, saine. Et ensuite vient le sale. Odeur de corps, de peau, de sueur, de sexe. Kouros a une double vie. C’est ça qui en fait tout l’intérêt et le charme : "il a déjà fait tomber bien des petites culottes" me susurre-t'on à l'oreille. C’est ce  qui repousse aussi. Il fait partie de ces parfums qui ne laissent pas indifférent. Dans le fond, il reprend l’idée très classique du sale sous le propre : pensez aux grands aldéhydés comme le N°5 ou Calèche. Mais sa structure est plus nette, joue sur la tension plutôt que sur l’enrobage. 

album "the shop suey club" Bruce Weber
dont l'esthétique colle bien à celle de kouros
Dans le fond, Kouros colle assez facilement au cliché du film érotique, voir pornographique. Bruits de douches, carrelages blancs immaculés, savons qui moussent, athlètes sains et net. Sur le sol des chaussettes, un jockstrap, taché, qui sent l’entrejambe, un mélange d’efforts, de chaleur et d’hormones mâles. Difficile de ne pas penser au savon qui tombe, à la troisième mi-temps, aux corps qui se mélangent.

Est-ce que son indécence voilée rend Kouros difficile à porter? Pas vraiment. Les gens perçoivent son impact mais ne l’analysent pas. Quand je le sens en rue, je ne peux m’empêcher de me demander s’il est porté en tout innocence ou si celui qui l’a mis veut qu’on lui saute dessus… 

À redécouvrir en urgence, le temps qui passe le faisant passer du statut de démodé à celui d’intemporel. Et il fait toujours autant d’effet.

Kouros, Pierre Bourdon pour Yves Saint Laurent, 1981.

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