clones

“Pour le contemplateur désintéressé, il y a cela d’assez beau, dans ces ressemblances parfaites de deux jumeaux, que la nature, comme si elle s’était momentanément industrialisée, semble débiter des produits pareils.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

bleu, sauvage, le jeu des 7 erreurs

Sur touche, l’un à côté de l’autre, il faut bien dire que Bleu de Chanel et Sauvage de Dior se ressemble terriblement. C’est le jeu des sept erreurs auquel nous fait jouer Dior avec sa dernière grande sortie. De près, je sens des différences, perceptibles quand on porte l’un ou l’autre et qu’on les connaît bien sans doute, mais je suis à la vérité incapable de dire qui est qui si je les croise en rue. Faut-il y voir un plagiat, un complot de la maison de l’avenue Montaigne pour devenir celle de la rue Cambon pour autant ? Franchement, j’ai des doutes. Après tout, pour qu’il soit imité, il faudrait déjà que Bleu soit un minimum original et identifiable.

Basiquement, Bleu et Sauvage sont deux fougères. Le symbole par excellence de la masculinité, régulièrement revisité, le classique absolu qui s’incarne et se réincarne régulièrement parce qu’il est LE symbole masculin par excellence en parfumerie. Pourtant, Guerlain continue de vendre Jicky, l'ancêtre génial de la famille, comme un parfum pour femme, je sais. Et Dieu sait que les excès de fougères torse velu-chaine dorée pour macho dragueur ont pu dévaloriser le genre… Mais le Mâle de Gaultier, soigneusement mis en scène au second degré à revivifier ce genre qu’on aurait pu croire mort après le succès d’Azzaro pour homme qui en avait fait un cliché absolu. (Je l’aime bien, je trouve toujours très drôle  son esthétique très Tom of Finland arborée au premier degré.)

Bleu et Sauvage ont un même objectif : le marché masculin. Le produit se veut classique et rassurant. La campagne publicitaire est supposée donner la branchitude, le luxe et l’originalité, mais on sent bien que pour le jus, il a été décidé dans les deux cas de rassurer l’homme sur sa virilité et sa séduction en ne s’éloignant pas des codes traditionnels, en respectant une  norme virile en vigueur depuis des décennies. Non, Bleu et Sauvage ne sont pas des produits jeunes. Voilà qui ne doit pas être très amusant pour les parfumeurs.

Mais il y a pire. Le marketing ne s’est pas privé d’intervenir et se basant sur les sacro-saints tests consommateur, l’opinion supposée des masses hébétée, a fait lisser le parfum pour ôter tout semblant d’aspérité, le moindre détail qui aurait pu déranger. Le résultat est infiniment générique. Plus rien n’est saillant, plus rien n’est remarquable, plus rien n’est détestable. Et plus rien n’est aimable non plus. Bleu et Sauvage sentent pareil. Ils sentent bon. Ils sentent le parfum pour homme. Des odeurs familières et rassurantes puisqu’elles évoquent une famille qu’on connaît par cœur à force de l’avoir sentie partout où il y a un produit masculin à parfumé. Chanel et Dior ont réussi à rendre en parfum, l’odeur de tous les déodorants, de toutes les crèmes, de tous les gels douche estampillés "pour homme" dans toutes les grandes surfaces du monde. Le parfum pour homme est réduit à son plus petit dénominateur commun. Générique. Un lieu commun. 

Pas étonnant qu’avec ces démarches on en arrive à des parfums semblables, des parfums qu’il est impossible de départager, de distinguer. Il n’y a pas nécessairement copie, juste la volonté des marques de ne vouloir déplaire à personne en espérant plaire à tout le monde. Et je plains ceux qui ont dû signer ces parfums, vraiment, parce que ça n’a pas dû être bien plaisant pour eux de travailler à ça.

Dans un sens, je peux comprendre que certains consommateurs aiment. C’est rassurant. On est un homme et on sent bon. Fin du message. Il n’y a pas de prise de risque identitaire.  Mais, mon Dieu, quel ennui ! Allez, virez-moi tous ces clones et amenez-moi un homme, un vrai ! Trouvez m’en un qui sente Sables !

Bleu, Jacques Polge pour Chanel, 2010.

Sauvage, François Demachy pour Dior, 2015.