"J’allais en secret me faire expliquer par la duchesse où, comment, sur quel modèle avait été confectionné ce qui avait plu à Albertine, comment je devais procéder pour obtenir exactement cela, en quoi consistait le secret du faiseur, le charme (ce qu’Albertine appelait « le chic », le genre ») de sa manière, le nom précis, la beauté de la matière ayant son importance- et de la qualité des étoffes dont je devais demander qu’on se servît."
Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, la prisonnière, 1923.
Levi's 501 vintage |
La matière, la belle matière, c’est un mythe énorme. Mais c’est loin d’être une obsession personnelle. En fait, je crois que c’est plus clair quand je cause chiffon… Vous avez les obsédés du cachemire et de la soie, mais moi, j’aime surtout le coton, une étoffe pauvre. J’aime un beau denim, par exemple, tissé serré, raide et solide. Pas celui qu’on trouve à bon marché dans la première chaîne venue. Celui qui coûte plus cher, c’est vrai que le cachemire H&M et la soie Zara. Ce denim qui vieillit bien, qui se patine joliment et qui vous accompagne longtemps, pas celui qui vous donne l’impression de porter un pantalon taillé dans une étoffe pour chemise et qui troue dans l’année. La coupe est importante aussi. C’est important de respecter le sens du tissu pour avoir un beau tomber même si ce n’est pas économique, ça fait des chutes, du déchet. Et on peut essayer de tricher avec de l’élasthanne mais ce n’est pas pareil du tout du tout.
fleurs de tubéreuse |
En parfum, la belle matière, c’est un argument de vente. Un argument qui excuse des prix élevés. Mais toutes les jolies matières ne sont pas forcément coûteuses. La mousse de chêne ne coûtait pas grand-chose par exemple. C’était très beau quand même. Le beau jasmin, ça coûte cher, je ne suis pas contre, de même que je ne déteste pas me rouler dans la soie et le cachemire, mais je trouve que c’est parfois une simple excuse à un manque de créativité. "Ah la belle matière !" et puis rien d’autre. Juste une belle matière dans un flacon, mais pas de coupe. Comme si en guise de vêtement, on vous vendait le rouleau de tissu. Et franchement, je préfère des matières un peu moi belles en elles-mêmes mais joliment travaillées, des matières bien assemblées, ajustées qui tombent bien.
Ce qui me fait rêver, là où je vois de la poésie, c’est dans le travail du créateur, dans une vision. Pas juste dans une matière première. Pour moi, la matière doit se maîtriser, se dompter ; il ne faut pas lui laisser la bride sur le cou. Et ça m’épate encore plus de voir le beau naître entre les mains de quelqu’un qui se sert de matériaux ou ce n’était pas évident de voir de la beauté…
Bonjour Dau,
RépondreSupprimerAyant été longtemps couturière, à une époque où on travaillait avec grande minutie, ma grand-mère paternelle avait l'habitude de retourner systématiquement les vêtements du "commerce" pour examiner la finition. Le verdic tombait comme un couperet: mal taillé, mal cousu, doublure de mauvaise qualité, motifs non joints, etc... Même les vêtements de prix, ceux que l'on imagine de qualité par le nom de la marque, trouvaient rarement grâce à ses yeux. J'avoue n'être guère douée en couture mais j'ai gardé le réflexe de l'envers du vêtement et de coudre des boutons intérieurs à mes manteaux (quoi de plus détestable que de perdre un bouton après deux essayages). Il en est de même avec les parfums. On peut gacher les plus belles matières par des raccourcis, un manque de finition surtout. Combien de fragrances ont un départ fulgurant et s'effondrent lamentablement par la suite. Coutures mal faites ou fond baclé, c'est assez similaire et de plus en plus fréquent. Dans un cas, tout se joue dans l'apparence de l'endroit, le clinquant, le logo, l'image rêvée; dans l'autre les notes de têtes qui doivent séduire dans les premières minutes, ou plutôt les premières secondes. L'immédiateté et tant pis si la qualité et la durabilité en souffrent. La grande qualité des parfums vintage est leur construction, la minutie dans l'assemblage, le dosage harmonieux, le fond qui se révèle lentement, gracieusement et sur le long terme. On pourrait tout autant parler des objects anciens, bien faits et fabriqués pour durer longtemps:les porcelaines, les nappes de lin brodé, les dentelles au fuseau, les solides meubles de bois plein, les tapis aussi beaux à l'envers qu'à l'endroit, les reliures en cuir des livres, etc.. Mais tout cela ne permet pas d'épater la galerie, de montrer sa richesse et son pouvoir, la qualité est rarement évidente au premier abord et ce n'est définitivement pas à la mode.
Pour ce qui est des vêtements de prix et de marque, je constate une détérioration de la qualité effrayante sur certaines pièces... Et les vendeur sont toujours un peu choqué et ahuris de me voir faire mon shopping en froissant le vêtement, en le retournant, en allant voir les étiquettes... C'est fou, on dirait que les gens n'en ont plus rien à faire! Et quand on pose des questions, on s'apperçoit qu'on a à faire à des gens qui ne connaissent pas ce qu'ils vendent et qui ignorent complètement ce que sont les tissus, comment ils se travaillent, etc... Et c'est plus évident de juger les matières en vêtement qu'en parfumerie. J'ai tendance à penser que la "facilité" des parfums actuel est dues aux matières nouvelles de plus en plus nombreuses. Avant, il fallait ruser et construire une odeur avec une palette plus restreinte, de nos jour, certains se contentent parfois de mettre une molécule nouvelle en vedette parce qu'elle est jolie et se comporte bien, avec un rien d'entourage pour personnaliser un peu et puis "vogue la galère!"
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