fantôme

« Mais au moment où, me remettant d’aplomb, je posai mon pied sur un pavé qui était un peu moins élevé que le précédent, tout mon découragement s’évanouit devant la même félicité qu’à diverses époques de ma vie m’avait donnée la vue d’arbres que j’avais cru reconnaître dans une promenade en voiture autour de Balbec, la vue des clocher de Martinville, la saveur d’une madeleine trempée dans une infusion, tant d’autres sensations dont j’ai parlé… »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le temps retrouvé, 1927.

Opium, Yves Saint Laurent
Opium est un parfum aujourd’hui défunt tant sa reformulation l’a diminué et pourtant, je continue de reconnaître son sillage et d’en être amoureux tant il a marqué mon esprit. Probablement, toute personne née avant 1980 à des souvenirs d’Opium. Tous, si nous ne l’avons pas convoité, nous avons connu quelqu’un qui le voulait ou qui le portait. Le nom était particulièrement bien trouvé tant il faisait naître l'envie de le sentir encore plus.

Pourtant la recette peut paraître simple : un bouquet de fleurs épicée sur fond orientalisant, mais on n’était plus habitué à cela depuis si longtemps et c’était fait avec un tel culot, un tel aplomb… Saint Laurent avait réussi à faire coller au parfum tout un imaginaire transgressif composé d'un orient baroque et littéraire qui mêlait joyeusement les références de la Chine et du japon. Qui se souciait vraiment de la réalité de la cité interdite quand l’impératrice rêvée du maître était si belle?

Aujourd’hui, Je le sens encore beaucoup en rue, mais délavé, éteint, lissé, beaucoup moins beau, moins intéressant mais plus portable. Moins transgressif, il est passé de parfum de vamp à accessoire bourgeois, parfum chic pour dame à broche sur le revers du tailleur. Pas parce que ses fidèles ont vieilli et se sont assagies, plutôt parce que celles qui n’osaient pas jadis se l’approprient, en se disant qu’elles sont enfin devenues ces femmes qu’elles enviaient jadis. Elles n’ont pas tout à fait tort car il reste un beau parfum, toujours bien plus intéressant que beaucoup d’ambrés actuel, simplement, il ne faut pas trop bien se souvenir.

Mon émoi, lui, est resté presqu’intact lorsque je le croise. Mon esprit le recompose automatiquement tel qu’il a été. Ma mémoire me joue ce tour bienveillant et me rend un peu du passé, tant que je ne l’approche pas de trop près. Il reste un monument du paysage parfumé, une de ces ruines romantiques qui restituent la grandeur des empires défunts, un fantôme bienveillant et séduisant. Ce que l’Oréal  fait à monsieur Saint Laurent est cruel, mais n’a pas encore réussi à tuer Saint Laurent.

Opium, Jean-Louis Sieuzac pour Yves Saint Laurent, 1977.

Commentaires

  1. Je le portais en alternance avec Mitsouko (et parfois Dioressence...)... Je m'en suis lassée... puis je le voulais encore... puis il a changé

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  2. Le plus drôle c'est d'entendre en parfumerie "j'aimerais sentir opium... mais il est un peu fort, on m'a dit", et la vendeuse de répondre "... oui".
    Le mythe d'Opium comme une montagne russe olfactive survit, en dépit même de la reformulation, qui est un joli chaton mouillé.

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    1. C'est fou de voir à quel point le mythe subsiste... C'est tout bon pour l'Oréal (Hélas!) mais on se demande comment c'est encore possible de ne pas voir le changement. Dans ce sens, Opium est comme le N°5, un talisman auquel on s'accroche, peu importe l'odeur et ses variations, le mythe reste plus fort que tout. On porte Opium et c'est ça qui compte, peu importe qu'Opium ne soit plus Opium.

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    2. En tant que parfum, le n°5 actuel -en extrait j'insiste- est un parfum qui fonctionne.
      Les aldéhydes et les musks puent en note de tête, mais à demi-vie et en fond le sillage marche du tonnerre et il sent vraiment bon.
      J'ai des anciens flacons de no5, mais c'est jamais trop ça, car un peu comme joy en extrait -toujours vintage- (que je préfère en EDT) c'est plus un accord de notes animales qu'un parfum qui va pulser des fleurs. Les notes de têtes n'ont pu leur fraîcheur, j'imagine. Ni leur aspect charnel. (ironiquement, un Joy extrait trop frais est aussi réputer mal ressortir. On n'est pas aidé :D)
      Je dois retester l'EDT du n°5 pour voir s'il y a un peu de la beauté de l'extrait actuel là-dedans, parce que pour l'instant je trouve l'EDT vraiment nulle. J'avais racheté un flacon des années 90 ou 2000 où parfois une violette une rose et un iris décollait des notes de têtes. C'est sublime quoi. Mon soupçon se porte donc vers un problème d'approvisionnement (sourcing) chez chanel. Le no5 victime de son succès en quelque sorte, mais Chanel pourrait faire plus d'effort.

      Pour prendre un parfum moins commercialement emblématique, j'adore Mitsouko dans le "parfum de toilette" des années 80. Il y a beaucoup de "fleurs confiturées", rose et jasmin et iris et que-sais-je-encore. Mais les bloggueurs ont applaudi la dernière mouture de l'EDP alors que ce n'est pas encore "mon" Mitsouko. (C'est un avis personnel, je ne suis pas le nombril du monde.) J'ai l'impression qu'ils ont été conditionnés à croire que Mitsouko est un truc rapeux et sec au patchouli avec de la prune qui se promène. Moi c'est plutôt iris-pêche, cèdre, accord chypre. Tant qu'il n'y aura pas un iris potable là-dedans je dirais niet. (Et puis le bon Mitsouko a une tonalité "d'encaustique" (de cirage quoi), délicieusement rétro, et je ne sais pas si chez Guerlain ils auront les couilles d'assumer à nouveau ça. C'est d'ailleurs ce qui fait que l'extrait de L'heure bleue est actuellement une fleure d'oranger gourmande, avec des ingrédient de haute qualité, mais un rendu très inoffensif comparé à la signature que laisse L'heure bleue.)

      Il y a des vagues de mode même dans la blogosphère, on acclame Mitsouko (c'est vraiment que le dernier est mieux), on rabaisse Opium parce que c'est L'Oréal. Donc je suis content de vous voir garder un recul, ne pas voir tout en noir ou blanc, et accorder quelques feuilles de laurier à Opium ;)
      Opium reste un très joli parfum, pour de la grande distribution. Même le flanker belle d'opium je le trouvais très joli sur touche (mûre, barbapapa, myrrhe). Il y a aussi Cinéma, qui est un très joli mimosa bien équilibré, mais dont personne ne parle.

      Guerlain et Mugler ont par exemple une approche très "blogger friendly", ça nous influence en bien comme en mal (on critique moins des copains). Chanel aussi dans une moindre mesure. Inversement L'Oréal c'est Dark Vador, dans l'impression qu'il renvoie. Car c'est une citadelle fermée (un grand groupe), et ce sont les pires décisions sur le plan artistique (budget contenu ridicule, La vie est belle, destructions chez YSL, etc.) (mais Opium est correct et les rééditions en flacons cubiques étaient sympa et abordable).

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    3. Le N°5 ne fonctionne plus pour moi, l'eau de toilette a un encéphalogramme toujours plus aplati (alors que j'adorais cette version) et l'extrait n'est plus qu'un (très beau, certes) jasmin, bien loin de la complexité qu'il avait. Je ne le reconnais quasiment plus.
      Le souci de Mitsouko, c'est qu'il vieilli assez mal est s'assombri terriblement. Mon parfum de toilette (1993) est presque dur... J'aime beaucoup la version actuelle, plus lumineuse que l'ancien, plus lumineuse que la repesée, mais je trouve que cette joie lui va bien, sans lui faire perdre de sa complexité, sans tomber dans le travers de la modernisation cheap.

      Opium, je suis d'accord, il reste un beau parfum, plus beau que pas mal d'ambré nichu, à mon avis, à condition de ne pas avoir trop bien connu, trop porté et aimer la première mouture. Je crois que je le trouve encore beau parce que je connais surtout son sillage et que le genre bourgeoise avec broche me plait bien. À vrai dire, je crois que tant qu'on le reconnaîtra, il restera beau, parce qu'on ne peut pas vraiment tuer une diva comme celle-là.

      Oui, Guerlain soigne ses relations avec les blog, c'est vrai. Mais je crois surtout qu'on soutient une volonté de faire du bon boulot et une envie de respecter (enfin) le patrimoine. Pareil que pour Opium, les créations de Jacques Guerlain, on ne peut pas vraiment les démolir, elles gardent toujours un petit quelque chose de fascinant, même diminuée à quelques exceptions... Je ne reconnais plus du tout Après l'Ondée, par exemple, que j'ai jadis porté en extrait et la version actuelle n'est pour moi qu'un parfum qui n'a rien à voir avec l'original, joli mais dispensable, là ou le "vrai" était un monument d'émotions.

      Chanel, je suis brouillé avec eux: trop de sorties que je juge infâmes depuis trop longtemps. En gros depuis Allure que j'ai toujours trouvé bien trop générique que pour m’intéresser. et une façon de mentir terriblement énervante. "Non, le 5 n'a pas changé, il est toujours le même depuis 1921..." Arrêtez de nous prendre pour des cons, on a un nez quand même! Au moins, chez Guerlain, on assume, même si parfois on se réfugie un peu facilement derrière la législation, là ou on peut parfois voir de l'économie et une tentative de séduire un public qui ne veut plus des lourdeurs d'antan.

      Pour ce qui est de Mugler, je passe mon tour, cette maison, certes créative, incarne à peu près tout ce que je déteste dans la modernité.

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  3. Bonsoir Dau,
    J'ai cherché des flacons avant reformulation au long et large de l'Espagne (Il est encore possible à ce jour de dénicher de vieux flacons). Maintenant c'est fini, je suis autre part mais il fait partie de mon passé. Je l'aimais beaucoup, tant et si bien que j'ai toujours refusé de porter la version délavée signée l'Oréal. Le dernier flacon (de l'ancien Opium), comme je vous disais il y a peu, est parti chez une tante qui l'aime à la folie, et je ne regrette pas ce geste de ma part, comme je disais avant c'est parti.
    Cordialement.
    Sara

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    1. Bonjour Sara,
      J'ai tendance à penser qu'Opium n'est pas vraiment le parfum d'une vie, plutôt d'une phase (qui peut-être assez longue) tant, dans sa version originale, il se prête peu à des interprétations divergentes. Certains, plus souples, peuvent révéler des facettes qui collent à des moments, à des humeurs différentes, Opium reste pareil à lui-même, fidèle à ce qu'on était le jour ou on l'a rencontré. Ce n'est pas un de ces parfums destiné à vieillir avec nous, je crois. (à moins que nous ne changions pas?)

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  4. @Sara
    Par chance, on en trouve encore assez régulièrement sur ebay france ou allemagne ou uk. Les prix sont normaux. Notre grande chance c'est que la première grosse reformulation a été accompagnée d'un changement de packaging. Il suffit de chercher les packaging vermillon avec des petites feuilles dorés.
    J'aimerais que ce soit aussi simple pour trouver du Kouros vintage! Là il faut s'aider du site http://raidersofthelostscent.blogspot.fr/ et franchement ça reste compliqué.

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    1. Merci Julien, je vais faire un tour sur ebay.
      Cordialement,
      Sara

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