luxure*

" …je la tenais serrée entre mes jambes comme un arbuste après lequel j’aurais voulu grimper; et au milieu de la gymnastique que je faisais, sans qu’en fut à peine augmenté l’essoufflement que me donnaient l’exercice musculaire et l’ardeur du jeu, je répandis, comme quelques gouttes de sueur arrachées par l’effort, mon plaisir auquel je ne pus pas même m’attarder le temps d’en connaître le goût… "

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Pas bégueule, le perfumista ne boude pas le plaisir et les odeurs qui s’y rattachent : il sait qu’un fromage puant peut être un met exquis et que certaines odeurs, corporelles, animales, sont les condiments de la volupté. Respirer l’odeur d’un doigt qui vient de s’égarer dans l’intimité la plus secrète l’enchante, les replis les plus cachés du corps humains peuvent faire les délices de son nez délicat. Forcément, de ce côté de l’Atlantique, le perfumista sait que les matières animales sont ce qui donne ce petit plus de séduction à bien des parfums et il se moque bien volontiers du puritanisme de ses amis d'outre Atlantique qui froncent le nez dès qu’un parfum ose l’allusion un peu louche.

Mitsouko, Guerlain
Qu’aurait été Calèche sans cette odeur de " femme qui se néglige " qu’y avait glissé de son propre aveux Guy Robert, faisant d’un parfum chic et net un fantasme ou la grande bourgeoise quitte un hôtel après un 5 à 7 torride sans remettre sa culotte ? Qu’aurait été le N°5 sans l’indole du jasmin qui salit son odeur de savonnette de luxe ? Et le merveilleux Mitsouko sans ses nuances de peau nue exhibée sous les bijou à la façon d'une Mata Hari faisant son strip tease devant le tout Paris cultivé? Forcément, ces notes cachées, lorsqu’on y a goûté, on les recherche, les redécouvre et les cultive, parce qu’elles sont devenues rares et qu’elles sont hautement addictives et séduisantes. Chacun trouve son Graal et ne s’y tient pas forcément, chacun place son curseur plus ou moins haut.


My Sin, Lanvin
Généralement, le perfumista le place plus haut que la majorité des clients de parfumerie, il n’a pas froid aux yeux, aime le risque et parfois les expériences extrêmes. Personnellement, My Sin est ma limite. My Sin, parfum étonnant de la si sage maison Lanvin et dont un ami dit qu’il évoque « la duchesse Arpège qui vient d’aller froufrouter derrière les rideaux ! » C’est mon parfum de Lady Chatterley, celui que je porte assez peu, mais dont j’aime avoir un flacon. Il y en a eu d’autre, parfois très beaux, comme ce Musc Koublaï Khân de Serge Lutens qui mariait peau de bête et virilité conquérante à un extrême raffinement, très bijouté, très orné, pour un effet ravageur.

Mais la tendance actuelle, dont le parfum Lutens ne fait pas tout à fait partie mais dont il est peut-être l’origine, cultive parfois l’animalité d’une façon un peu trop complaisante, semblant rechercher le sale pour le sale, n’offrant parfois rien d’autre que des odeurs de sueurs, de fesses mal essuyées, tel cet Absolu pour le Soir de Francis Kurkdjian, étonnant, terriblement bien construit, mais dont je finis par me demander s’il a un propos autre que celui de la représentation du corps quittant un peu le domaine de l’érotisme, pour entrer dans celui, bien plus cru, de la pornographie.

Et c’est peut-être là que commence le vice du perfumista. Une recherche de sensations qui oublie l’esthétisme, la profondeur, la recherche, au seul profit d’un choc immédiat. Et parfois, on le voit se draper dans ses muscs avec comme principal plaisir, celui de choquer le bourgeois par sa provocation olfactive, résultat d’une escalade prétentieuse dont l’argument principal est " même pas peur! " Certains perfumistas se réveillent alors un beau jour au milieu d’une collection sans âme avec pour seule joie la fierté de porter ce que personne d’autre n’a envie de porter.

*Ce billet fait partie d’une série consacrée aux 7 péchés capitaux revus à la mode perfumista.


Commentaires

  1. Mon Cher Dau,
    Vous me faites réfléchir ce dimanche, chaud, presqu'à la fin des vacances, où je me pose bien des questions concernant l'avenir, un avenir qui commence indéfectiblement tous les ans en début septembre. En principe les odeurs corporelles ou les mauvaises odeurs comestibles (camembert et autres), ne me font pas peur mais il est vrai que je m'en délecte plus par le palais que par l'odorat. Je mange volontiers du canard faisandé ou des fromages puants mais j'ai du mal à me parfumer avec des trucs dont je pressens l'odeur sale ou corrompue, la seule exception "Miel des Bois" dont l'odeur sur touche rappelle franchement l'urine (surtout au premier abord) mais sur ma peau il n'y a que le miel qui ressort.
    Je n'ai pas de problèmes particuliers avec la pornographie sauf qu'elle m'ennuie à mourir, je préfère cent fois l'érotisme qui me fait songer et qui finalement provoque un plus grand plaisir ou au moins un plaisir plus long.
    Très cordialement,
    Sara

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  2. Bonjour,
    Ma foi, je suis ravi si mes billets peuvent faire réfléchir un peu. Pour Miel de Bois, oui, il a une note urine, mais sur moi également il est tout miel, ce que je n'aime pas du tout. Mon premier test à été sur peau et sa tenue phénoménale m'a incommodé toute la journée...
    Quant à la pornographie, nous sommes d'accord, c'est monstrueusement ennuyeux et passablement sans intérêt. Comme les créations de Francis Kurkdjian? Je le pense volontiers, moi qui n'est apprécie aucune. Vive la suggestion et l'érotisme, la lente montée du désir et les non-dits! On s'y ennuie moins et on peut faire durer le plaisir. vive l'ambiguïté du non perçu, du pas évident et roulons nous dans l'indole mais avec discrétion... ;)
    D

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  3. Hormis AbsoluE pour le Soir – et encore, ce n'est qu'une dimension potentielle –, je ne parviens pas à voir en quoi les productions MFK sont plus directement "pornographiques" que certaines d'autres marques (La Panthère, par exemple, a un côté banalement putassier, qui plaît beaucoup). Chez MFK, c'est souvent ennuyant ou démesurément cher pour des eaux simplettes sans intérêt fondamental (toutes les "Acqua" etc.), mais certaines créations antipornographiques sont tout à fait à mon goût (j'ai déjà évoqué Oud Velvet Mood – qui ne sent ni la raie du cul ni le caca ni le pipi).

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    1. Je parlais juste de l'absolue pour le côté pornographique: évocation de chair sale et c'est tout. Le reste, je le trouve juste ennuyeux. (ce n'est qu'une opinion personelle, c'est souvent fort bien fait et je comprends qu'on puisse aimer son travail, mais ce n'est vraiment pas pour moi. Et je parlais de son travail en général, pas uniquement de sa marque.)
      La Panthère racoleuse? Oui, peut-être. Je ne l'aime pas personellement, mais je la trouve un peu trop complexe pour le racolage. Ou alors, disons qu'elle vise un certain segment de population assez limité et qui ne se reconnait pas dans les patchoufruits de base. Mais elle n'est certainement pas pornographique, non, prenant bien soin de rester dans le cadre "élégant et bourgeois" qui se veut le sien.

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    2. Pour l'"Absolue", je sens plus une odeur de pisse que de chair sale. Mais il s'agit d'une odeur de pisse sublimée, fortement érotisée voire en effet pornographique, qui n'a rien à voir avec les notes d'urine chaude de "Jeux de Peau" par exemple (où là, on est davantage dans le pot d'urine du malade à l'hôpital). Néanmoins, ce n'est pas la seule facette de ce parfum, quand même...
      Pour "La Panthère", aucune dimension pornographique particulière en effet, même si j'entrevois pour ma part une dimension plus "banalement putassière" que "activement racoleuse" ; et, en effet, dans un cadre assez bourgeois (la personne porte idéalement une petite montre Cartier – pas trop ostentatoire, dans la mesure du possible, mais néanmoins visible).

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