"En entrant dans toute réunion mondaine, on meurt à soi-même."
Marcel Proust,à la recherche du temps perdu, à l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.
Généralement,
je n’ai pas envie de parler du nom d’un parfum parce que mon ressenti personnel n’a souvent
rien à voir avec l’imagerie imposée par le créateur ou l’équipe marketing. Mais
dans le cas de Private Collection, je dois dire que c’est exactement ça. Ce
parfum est infiniment privé et ne donne à voir qu’une apparence incroyablement
lisse. Il ne révèle rien de lui-même et fait plutôt figure de masque pour l’élégante
mondaine qui le porte. Private Collection avec ses notes vertes et fleurie,
galbanum-jacinthe pour un effet "herbe" et tilleul-jasmin pour la floralité suave à mon nez, évoque sans le dévoiler un monde luxueux et
aimable.
L’hôtesse
qui hante le parfum est invariablement souriante. Un sourire poli. Poli dans
tous les sens du terme. Presque suave mais aussi impassible. Mondaine jusqu’au
bout de ses ongles impeccablement laqués, absolument parfaite en toute
circonstance. Elle vous reçoit, chaleureuse, vous montre ses trésors privés
sans ostentation, elle n’a pas besoin de se mettre en scène.. Elle incarne la
confiance en soi, celle qui se passe de démonstration de force. Pas besoin de
claquer les porte, de claquer des doigts, elle est au-dessus de ça, elle n’a qu’à
formuler les choses d’un ton aimable pour être obéie.
Madame
Lauder a encore fait un parfum autoritaire, mature, quoiqu’impeccablement
lifté. Un parfum fait pour la meilleure
société, une certaine image d’une aristocratie contemporaine, argentée et
cultivée, qui porte le chypre vert discrètement, l’associant à une élégante
palette de tons neutres. Le sillage floral, à peine poudré, de Private
Collection est parfait pour les reines du beige chez qui il n’y a jamais rien à
redire et les héroïnes d’Hitchcock en twin set et collier de perles. Un genre qui énerve un peu parce qu’il vous fait toujours sentir tellement "trop"
ou "à côté" parce que la perfection est, parfois, un peu difficile
à côtoyer.
Mais il y a un prix à payer à tout. Et s'il n'a pas l'austérité monastique, Private Collection est quand même une forme de renoncement: ce n'est pas parce qu'on ne montre rien qu'on ne ressent rien. Private Collection est aussi un silence sur soi, sur sa peine.
Private Collection, Estée Lauder, 1973.
Encore une fois vos paroles me touchent énormément et me pressent à aller humer un jus. C'est surtout la dernière phrase "Private Collection est aussi un silence sur soi, sur sa peine" qui me semble si poignante et qui me fait réfléchir.
RépondreSupprimerTrès Cordialement,
Sara
Sara, j'ai également été très ému à la lecture de ce billet. J'ai pleuré. Puis mon corps m'a lâché : j'ai retrouvé des selles molles dans ma culotte. Je vais aller me nettoyer, prendre une douche puis me badigeonner de Jicky EDP 2013 – il faut bien que je finisse au plus vite ces deux recharges achetées à l'aveuglette, je ne vais quand même pas les jeter.
SupprimerSara,
RépondreSupprimerJ'avoue que j'aime à voir des choses derrière les parfums un peu trop lisses, trop élégant, exactement comme je vois des choses derrière les gens qui ont l'air absolument parfaits et lisses. (Trop parfaits et trop lisses!) C'est peut-être d'avoir vu trop de films de Hitchcock qui me fait cet effet?
Bien à vous
Dau