"Le sillage que laissait en moi le regret de Mme de Stermania ne voulait pas être effacé si vite…"
Marcel
Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1922.
En ballade
dans les rues du vieux Lille, j’ai soudain été plongé au cœur du sillage de
Shalimar. Je ne sais de qui cela venait, mais peu importe, j’ai été transporté
à l’époque où je l’ai senti pour la première fois, dans ma jeunesse. Shalimar traînait derrière une nuque argentée et un manteau de vison, répandant ses
charmes, faisant du gringue aux passant, parfum séduisant et toujours un peu aguicheur
malgré le temps qui passe. Peu importe car ce sillage est un enchantement, mais
il n’invite pas à plus qu’à être suivi, un peu, beaucoup, ne poussant pas au
rapprochement, puisqu’il ne le rend pas nécessaire.
Dans le
fond, j’ai toujours trouvé les parfums discrets plus troublants. Ces parfums de
peau qui laissent entrevoir une intimité, qui appellent à venir plus près, pour
confirmer cette vague impression, plus près, jusqu’à effleurer la peau.
Le sillage
a parfois tout d’une barrière, surtout lorsque ce présente la moindre note dure
d’épice, ou le brillant triomphant des aldéhydes qui scintillent comme une
armure, scandent la réussite bourgeoise et marque l’écrasement des plus petits
que soi. J’aime le sillage que je rencontre par hasard en rue, mais dans le
fond, je le réprouve, parce qu’il tourne très vite à l’agression. Dans le fond,
le sillage, plutôt que d’un "suivez-moi, jeune homme" me fait l’effet
d’un "noli me tangere !"
Je ne pense pas que le sillage résulte d'un acte volontaire ayant pour but "l'écrasement des plus petits que soi". Sauf, évidemment, quelques cas pathologiques : j'ai croisé l'autre jour, rue St Honoré, une pétasse pleine de sacs Gucci et autres qui avait vidé au moins 3 millilitres de Carnal Flower un peu partout, ce qui la rendait davantage vulgaire que rayonnante...
RépondreSupprimerQuand je mets 2 à 5 sprays de PoaL (en hiver) ou de Musc Ravageur (toute l'année) le matin, comme je vais dans le métro juste après rejoindre mon travail de merde, je dois certainement infuser un peu auprès des voyageurs ; mais c'est bien malgré moi : j'aime sentir le parfum que je mets dans le cou, il projette donc un peu, forcément.
En même temps, parfois, j'aurais envie de vider davantage de jus sur moi, pour couvrir les odeurs d'aisselles, de pieds, de sucre (beaucoup de gens mettent des trucs sucrés en ce moment et ça pue), de pisse, de pets, d'égouts (à certaines stations, les égouts doivent se déverser dans la station, je suppose), etc.
Depuis que j'ai acheté aussi Carnal Flower (c'est devenu addictif les jours d'été ; c'est très "antidépressif", narcotique, j'adore – j'ai testé 4 autres tubéreuses et je n'aime que celle-ci), je ne mets que 3 sprays le matin, et la projection semble limitée à ma bulle.
Non, ce n'est pas volontairement écrasant, mais il y a bien un effet (voulu dans le cas du métro) de mise à distance, la création d'une barrière que l'autre est prié de ne pas franchir. Et j'avais envie d'en parler parce qu'on parle trop souvent de sillage pour séduire quand c'est parfois juste pour se construire un mur et se mettre a l'abri.
RépondreSupprimerBonjour, comme toujours Dau, vous trouvez les mots justes et exprimez parfaitement ce que je ressens très confusément.
RépondreSupprimerCe soir je suis seule pour quelques heures et j'ai choisi Shalimar, pour moi. J'ai maintenant énormément de mal à porter dans la journée ce parfum magnifique et je me rends compte, grâce à vous, que c'est exactement pour cette raison : shalimar est une bulle quand je suis seule qui se transforme en forteresse en société...
Je suis content de ne pas être le seul à penser les choses en ces termes. C'est toujours tellement difficile de commenter le sillage... Les gens qui aiment en laisser un, et je ne déteste pourtant pas cela, se sentent toujours un peu attaqué et répondent que c'est une question "de dosage" entendu que EUX, bien sûr, savent doser et que ce sont les autres qui... Dans une discussion un peu stérile.
SupprimerUn parfum bulle pour rester chez soi, c'est bon aussi!