"ce charme d’une sorte de secret surpris, que nous retrouvons aujourd’hui dans le souvenir de ces robes déjà démodée alors…"
Marcel Proust, à l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.
Certains parfums n’auraient peut-être pas dû voir le jour,
ils ont attendu que leur tour viennent, dans l’obscurité, calmement, espérant l’amateur
qui saurait les voir et leur donner vie. Un chapelier qui trouve une formule précédemment refusée
et choisi de la vendre en la mettant dans un flacon ancien réédité, voici l’histoire
d’Ombre Rose. En 1981, lorsqu’il est mis sur le marché, ce parfum a déjà des
allures anciennes, rétro. Ce n’est pas tellement la mode à cette époque. Moi
qui l’ai connu à l’heure de sa première gloire, je me souviens qu’il fascinait
déjà parce qu’il était démodé, rétro dans une époque qui n’aimait pas tellement
cela, du moins, pas sans une bonne dose d’ironie et de cynisme qui semblait lui
faire défaut.
Ombre rose a été un énorme succès et continue à se vendre
après une brève interruption, devenu un parfum rare, de niche, peu cher mais
pas cheap, qui a toujours ses fidèles. Plus de 30 ans après. Un bel outsider. Des
aldéhydes, une note de pêche qui apporte sa douceur et un bouquet de roses
anciennes, fanées, passées, nuancées de violettes et d’iris. Le fond est un
long soupir poudré de muscs, héliotrope et vanille. C’est un voyage dans le
temps, un temps de joues poudrées, de velours dévorés et de dentelles
anciennes, un temps inventé qui n’existât jamais, une fiction à laquelle ce
parfum nous fait croire. Inspiré de parfums anciens dont il semble paradoxalement
l’ancêtre, Ombre rose est un superbe arrêt sur image. Bien sûr, l’image est tirée d’une
série B, mais une série B devenue culte, qui flotte dans l’inconscient de
chacun parce qu’elle a été beaucoup citée.
Ombre Rose est le fantôme à l’arrière-plan de nombreux
parfums poudrés. Trésor de Lancôme et sa rose abricotée, Flower by Kenzo et sa
violette, Love Chloé et sa table de maquillage, l’Iris Poudre de Frédéric Malle…
Il semble rôder de décennie en décennie, refusant de mourir, s’accrochant,
refusant de disparaître, de céder aux modes. Le retrouver, de temps en temps,
est comme relire un livre ancien, beaucoup aimé, aux pages cornées, une fantaisie
sentimentale, que j’aurais découverte par hasard dans un grenier et adoré
jadis, s’enrouler dans un plaid par un après-midi brumeux et regarder tomber la
pluie par la fenêtre en ne pensant à rien...
Ombre Rose, Pierre Bourdon et Françoise Caron pour
Jean-Charles Brosseau, 1981.
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