essentiel

"Et puis il y a des femmes qu’à chaque décade on retrouve en une nouvelle incarnation…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le temps retrouvé, 1927.
Gabrielle Chanel qui voulait un parfum de femme à odeur de femme pour son N°5 a dû faire la gueule en entendant le nom du parfum de Marcel Rochas. Un non simple, loin des chichis panpans d’avant-guerre, qui fait passer les chiffres de Chanel pour des complications prétentieuses. Femme est un parfum pour femmes et sent la femme, c’est simple, clair et net. Un parfum de guerre qui va directement à l’essentiel : sentir bon ! 

Femme est un chypre fruité extrêmement classique, dérivé de Mitsouko : un départ aldéhydé lumineux, un bouquet de fleurs très classique, poudré, basé sur le duo traditionnel rose-jasmin et un fond sombre de mousse de chêne, de bois, de notes animales. Ce qui fait toute la différence, ce sont les notes fruitées qui traversent le parfum de part en part, des notes de peau de pèche et de prune juteuse, soutenue par la muscade et surtout le cumin. Le résultat est un parfum à la fois lumineux et sombre, sophistiqué, très construit, très complexe, qui marie à l’élégance une nette sensualité. Femme évoque fortement la chair, la chair pas nette, la nudité sous la guêpière. Si, selon la légende, le flacon s’inspire des hanches de Mae West, qualifiée de monstre lubrique par William Hearst, le jus aurait pu s’inspirer de la demande de l’actrice à Edith Head : « faites-moi des robes assez couvrantes pour montrer que je suis une dame et suffisamment moulantes que pour montrer que je suis une femme. » 

Dans la carrière d’Edmond Roudnitska, Femme peut surprendre si on pense uniquement à l’Eau Sauvage et à Diorissimo, mais on peut facilement voir un pont entre Femme et Diorella qui verra le jour 30 ans plus tard et plus encore si on prend en compte le Parfum de Thérèse aux Editions F. Malle. Il y a un travail très intéressant sur les notes fruitées, des notes de fruits mûrs, qui évite de plus en plus le confit (la prune de Femme est un peu confite), le trop sucré, l’alimentaire mais bien sûr, il y a le glissement du chypre vers l’eau chyprée, trouvaille majeure et merveilleuse à mon goût qui projeta le genre dans une certaine modernité en lui donnant de la jeunesse. Cela dit, pas la peine d’admirer l’évolution de la parfumerie, tout ces parfums s’aiment facilement pour eux-mêmes.

Je possède deux versions anciennes, dont l’une, encore portable et belle, a un peu mal vieilli, la tête est abîmée, . Femme a été retouchée en 1989, est devenue plus épicée, plus cumin. Une version jolie, pas vraiment plus moderne, qui accentue le côté charnel. Si je devais qualifier Femme, je parlerais de maturité. La maturité de la parfumerie française parvenue à l’âge classique, au sommet de son art. La maturité des fruits murs (Dieu que nous sommes loin des paquets de bonbon chimique pour Lolita milléniale) qui évoque la richesse et l’abondance d’une façon bien plus subtile que les saturations de matières premières précieuses que veux nous vendre la niche, ces horreurs vulgaires pour nouveaux riches incultes. Femme évoque aussi une maturité sexuelle. Il n’essaye pas de faire jeune, ingénu ou bégueule. Le parfum de Rochas s’appelle Femme, ni Fille ni Madame. Pas Cocotte non plus. Pourtant, …

Ce que j’aime surtout dans Femme, c’est qu’il réussi toujours à me surprendre. Je l’ai porté jadis, je le redécouvre avec plaisir et il continue de me surprendre. Certes, il à une forme spécifique, très facile à reconnaître, mais il sait se montrer sous des jours différents. Oui, femme peut se montrer cocotte, un peu racoleur dans sa séduction ouvertement charnelle, mais il ne boude pas le romantisme pour autant et s’autorise à jouer les grandes élégantes hautaines également. Il n’est que fruits un instant, me paraît subitement très poudré… Bref, Femme est un chef d’œuvre, mais c’est surtout un parfum dont on ne se lasse pas. Est-il difficile à porter aujourd’hui ? Pas trop non, si on accepte d’afficher sa maturité, il n’est pas excessivement daté. Est-il portable par un homme ? Très facilement, oui, et si vous n’assumer pas la fluidité du genre, dites juste que vous porter un Rochas, personne n’y trouvera rien à redire.

Femme, Edmond Roudnitska pour Rochas, 1944.

Commentaires

  1. Bon après-midi Dau,
    j'ai moi-aussi porté Femme quand j'avais douze ans! (C'est à dire il y a longtemps). Ma belle-grande-mère me l'avais offert à un moment (la transition politique) où seules les personnes qui avaient de l'argent ou les artistes portaient des parfums français (pas question de pouvoir d'achat mais de péché, les parfums français et le péché marchaient côte à côte. Je l'ai donc porté toute petite, convaincue que j'étais déjà suffisamment mûre et je me rends compte aujourd'hui que je l'ai délaissé par la suite. Vous m'avez donné envie de le revisiter.
    A très bientôt!
    Sara

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    1. Bonjour Sara,

      Il faut le sentir, oui, absolument et l'aimer à nouveau, car il est fort aimable (même si je ne sais ce que vaut la version actuelle)Femme sent-il toujours le péché? Vous me direz, mais je gage que oui, un délicieux et voluptueux péché. C'est une notion qui lui va parfaitement. Plus que bien d'autres... Il aurait peut-être pû s'appeler Ève?

      à bientôt

      Dau

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  2. Me voilà obligé d'aller chiper dans l'armoire à parfums de ma soeur pour tester sur moi ce merveilleux Femme... Pourquoi n'y ai-je pas pensé plus tôt par moi même ? Heureusement que tu es là !!!

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