le truc qui sert à rien...

“ Il est inutile de continuer des visites qui ne sauraient enrayer un mal inéluctable.”

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu,  Sodome et Gomorrhe, 1921

Chanel souhaitait offrir un accès à son N°5 aux jeunes femmes qui brûlaient d’envie de l’essayer mais n’osaient pas, trop impressionnées par le mythe. Version officielle. En vrai, le N°5 n’est plus en tête des ventes, Chanel enrage et tente de relancer sa fragrance par tous les moyens et de lui gagner un public jeune qui la boude. Après une très jolie Eau Première qui ne se ressemble malheureusement plus trop, nous avons droit, cette année à L’Eau. En flacon traditionnel que n’avait pas eu la Première, ce qui avait dû lui nuire car, le flacon Chanel classique, ça fait chic, ça passe bien sur l’Instagram des blogueuses mode…

Les aldéhydes sont au rendez-vous, éthérés, épurés,  débarrassés de la sensation un peu grasse de l'original, plus transparents, d’une lumière plus froide, posé sur un cœur floral rose-jasmin, plus rosé dans cette version, très aéré. L'Eau évoque un peu la chambre stérile à force d'être propre et aérée, presque vide, d'ailleurs. C’est signé Chanel, lisse et chic, beau et élégant, aucun doute. Techniquement, rien à redire non plus, c'est bien construit, maîtrisé, précis. Mais on ne retrouve plus la richesse solaire du N°5, son fichu caractère et encore moins le "parfum de femme à odeur de femme" dont parlait Gabrielle. L'Eau n’apporte rien ni à la marque, ni à la cliente. Le N°5 avait inspiré nombre de savonnettes et de laques, on a ici l’impression que l’Eau, plus qu’un flanker du N°5 est une variation "shampoing de luxe et laque chic à l'hopital."  Je doute que les jeunes trouvent ça moderne en dépit du très photogénique flacon. Et la cliente habituelle du 5 n’aimera probablement pas, espérant autre chose de son parfum qu’une senteur cosmétique digne d'une salle d'opération de clinique chic spécialisée dans le lifting. 

Seul intérêt pour la marque, c’est vendu plus cher que les autres versions, probablement pour financer le cachet de la fille de… (Ironie d’avoir choisi quelqu’un qui n’a absolument rien fait d'autre que naître pour incarner le parfum phare de celle qui sortait de nulle part et s’enorgueillissait de sa réussite par le travail…) Le bon goût pour le bon goût est terriblement ennuyeux, hélas, Chanel n’a strictement rien d’autre à nous vendre cette fois. 

N°5, l'eau, Olivier Polge pour Chanel, 2016.