une vieille maîtresse

« le talent avec lequel elle jouerait son rôle avait sans doute moins d’importance que l’attrait irritant qu’elle allait offrir aux sens blasés ou dépravés de certains spectateurs… »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l’ombre des jeunes filles en fleurs, 1919.

Habanita inspire le respect : depuis 1921, elle fait fi des conventions, belle insolente en blouson de cuir qui vous souffle la fumée de sa cigarette à la figure et cache sous la poudre et les fleurs une vanille raidie de vétiver. La tête était un peu difficile, oui. L’Eau de Parfum l’avait adouci, ce que je déplorais. Oui, Habanita est enveloppant, sensuel, chaleureux, mais il était bien plus que ça et ne méritait pas d’être réduit à ça…

La cologne nous rend enfin cet Habanita que nous avons aimé. Au départ, je ne retrouve pas l’opulence du vintage, oppulence touchée d’anti moustique, comme certains disent. La cologne est douceur de citron relevée de bergamote, un court instant. Mais très vite, Habanita monte, s’épanouit sur la peau et ensorcelle à nouveau. La vanille est là, bien présente, nette, couronnée de quelques fleurs et ceinte d’épices. Et puis, surtout, on retrouve les notes dures, traditionnellement considérée comme masculines. Les bois, le vétiver, le cuir et le tabac. Vachard. Dérangeant. Rock ‘n Roll avant que le rock ne soit inventé et avant que la mode ne le réduise à un  t-shirt noir sur une paire de jeans. 

L’appellation cologne paraîtra trompeuse à certains qui s’attendront à un gentil parfum aux agrumes pour l’été et qui s’enfuiront devant tant de culot. Mais je suis un fervent partisan d’Habanita en été: il n’est jamais aussi beau que sous la chaleur ou il se développe, se déploie, se fait voluptueux avec une pointe d’indécence. La modulation qui lui est apportée est sensible, mais séduisante, disons que les préliminaires sont plus doux avant le coup d’estoc final. 

Notre vieille maîtresse s’est mise au sport et ça lui va plutôt bien… On la redécouvre, un peu plus mince, à peine blondie par l'été, et on regrette de l'avoir un peu dédaigné ces dernières années. Depuis qui nous a autant comblé?

NB: à plus de 80 ans, Habanita fait passer la plupart des parfums de niche pour des demi-mesures anémiques. Must-have! 

Cologne Habanita, Molinard, 2016.