ironie

« Oui, j’aime ce petit cercle intelligent, agléable, pas méchant, tout simple, pas snob et où on a de l’esplit jusqu’au bout des ongles. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

cologne rare, la manufacture

On a parfois l’impression qu’il y a plus de lancement de marques de niche que de sorties mainstream. Certains pour se distinguer jouent la carte du concept fort, prétendent réinventer la parfumerie, emmener vers des destinations lointaines et encore inexplorées. Et souvent, on se dit « tout ça pour ça? » On découvre, on est parfois surpris, mais l’enthousiasme retombe comme un soufflé mal cuit. D’autres choisissent de travailler sans tambour ni trompette, de faire un produit de qualité, auquel ils croient et de nous le présenter en espérant nous convaincre. C’est un peu la démarche de La Manufacture qui joue la carte de l’artisanat, de la qualité et de la tradition et qui sort des colonies, produits traditionnels par excellence, sans essayer de renouveler le genre, en respectant les codes et en se contentant d’un petit quelque chose en plus pour être distinguée.

La Cologne Rare marie notes citronnées et aromatiques tout en fraîcheur, une pointe de lavande sur fond de bois et vétiver. C’est très classique. Je pense un peu à la Colonia d’Acqua di Parma et à ses nuances un peu barbier. Ici, l’effet est beaucoup plus discret. Mais ce qui fait la différence, c’est autre chose: une pointe de rhubarbe. Discrète, la Cologne Rare reste une cologne, mais suffisamment présente que pour infléchir le parfum et l’emmener prendre le vert et en lui donnant une pointe d’acidité garantie sans citron qui évite l’effet « liquide vaisselle » de certaine cologne. (Le citron, c’est très banal à première vue, mais très difficile à réussi quand on veut éviter le sorbet ou le Paic !) 

La cologne Rare est très intéressante par sa fraîcheur originale qui contourne tous les pièges, et évite même le potager. (Remarquez que ça peut être très beau le potager, pensez à celui de l’Eau de Campagne de Sisley !) Le résultat est frais, agréable avec un petit quelque chose en plus qui fait son chic et qui attache, bien que ce ne soit pas forcément "facile" ou aimable… J’ai le sentiment de quelque chose d’un peu bas-bleu. Une sensation d’humour, mais un humour pince-sans-rire, plein d’ironie, et qui n’hésite pas à égratigner un peu. (Beaucoup ?) Si la cologne évoque des vacances, celle-ci évoque le petit cercle à la Raspelière : j’imagine volontiers  Madame Verdurin s’en mettre une goutte derrière l’oreille avant d’aller accueillir les fidèles. C'est assez rare, l'ironie en parfum. Rien que pour cette pointe de malice, vous devriez aller sentir la bien nommée Rare!

Je l’ai découverte en hiver, une saison qui lui va bien, parce que le vert en hiver… (air connu),  et  je n’ai aucun doute pour le printemps. Mais la Manufacture en a d’autres dans son arsenal et la Cologne Impatiente me tente pour les beaux jours… Une affaire à suivre.

Cologne Rare, Carla Chabert pour La Manufacture, 2014.