exotisme rétro

« Mais quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir. »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Tremper le biscuit ne me fait aucun effet et l’épisode de la madeleine me laisse franchement de marbre. Je lui préfère de loin le pavé disjoint de l’hôtel de Guermantes mais cet évènement prend place à la fin de la Recherche et peut-être beaucoup de ceux qui parlent de la madeleine de Proust ne sont point allé jusque cette partie de l’ouvrage ? Et que dire des trois arbres aperçus lors de la promenade dans la voiture de Mme de Villeparisis ? Le passage est d’autant plus touchant que le souvenir ne se manifeste pas, reste hors de portée alors que le narrateur essaye désespérément de parvenir à comprendre… Il y a là un déchirement, une douleur face à ce qui est manqué, perdu, parce qu’incompris véritablement plus touchante que la madeleine de tante Léonie.

savons oeillet mignardise (rose) et santal (bleu)
Roger & Gallet

S’il devait y avoir un effet madeleine pour moi, il serait lié aux savons Roger & Gallet. Plus précisément à deux savons que j’achetais régulièrement et qui ont fini par disparaître mais qu’on peut encore trouver à la boutique de la rue Saint Honoré à Paris. Œillet Mignardise et Santal. Ils étaient et son resté mes préférés.  Déjà rétro à l’époque, probablement. Je trouvais que les senteurs épicées de l’œillet et le boisé crémeux du santal se mariaient à merveille avec le support savon et donnait un bien plaisant petit air d’exotisme à la toilette, déjà rétro à l’époque, tellement pas en phase avec les odeurs des gels douches qui ont filé un coup de vieux aux savons… Mais me prendre pour l'une ou l'autre scène de bain orientaliste du XIXème siècle n'est pas pour me déplaire, vous vous en doutez.

C’est un petit bonheur au quotidien, que je compte bien m’offrir à chaque échappée parisienne, parce qu’on n’a que le bien qu’on se fait. Constituer un petit stock qui répand son parfum dans l’armoire n’est pas pour me déplaire et puis, je dois bien avouer une fois de plus que, sensible au contenant, je fonds devant les petits papiers plissés.