gourmandises*

"À cause de ce même besoin maladif de nouveautés…"

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1922.

Ce serait un peu facile de parler des gourmands, de taper sur l’Ethyl Maltol et ses confrères qui n’ont point la cote chez les perfumista, probablement parce qu’ils sont trop à la mode, trop utilisés et facilement écœurants. D’autant que je n’ai jamais vraiment aimé la moindre note alimentaire et possède une très faible tolérance à la vanille. Ce serait facile d’autant qu’il est possible de faire de jolies choses dans ce registre.  Pensez au chocolat de l’Anima Dulcis d’Arquiste ou au caramel de Prada Candy par exemple.

Non, le péché, au sens très catholique du terme, je le vois plutôt dans cette attitude qu’on souvent ceux qui découvre l’univers des odeurs… Tout vouloir. Tout acheter. Trop! Parce qu’on aime tout, que dès qu’un parfum nous plaît, nous nous disons qu’il nous le faut. Achetant plus que nous ne pouvons porter et superposant, accumulant, passant de l’un à l’autre plusieurs fois par jour. Il arrive, bien sûr, que nous tentions de nous raisonner, d’être sélectif, mais le vice est là et nous nous ruons sur le flacon qui contient … (Choisissez la matière qui vous attire le plus) ou la marque … (Pareil, choisissez celle qui vous fait craquer à tous les coups) parce que nous aimons ça. Et nous nous retrouvons avec des armoires surchargées, pleine de choses parfois ridiculement similaires et que nous ne portons pas forcément toute.

Nous sommes parfois semblables à des enfants dans un magasin de bonbons, portant la main à tous les bocaux, ne sachant nous arrêter. Accumulant les douceurs dans les sacs sans savoir nous arrêter, dévorant à belle dent notre butin, nos trésors, jusqu'à la sensation d’écœurement, jusqu'à ce que la nausée nous saisisse.

Être perfumista, c’est aussi savoir choisir. Comparer, essayer et décider. Personne n’a besoin de toutes les variations sur un même thème, même en adorant ce thème. Régulièrement, je tombe amoureux des fleurs d’oranger, je les veux, sans elles ma vie serait probablement finie, sauf que je sais très bien que j’en ai une à la maison et que je la porte au grand maximum une fois par mois, pour  dormir, on ne peut donc dire que ce soit judicieux d’en acheter une de plus. Pareillement, je craque pour les orientaux, comme tout le monde, mais me montre quasiment incapable de les porter parce qu’ils ne sont pas exactement mon genre ; une fois de temps en temps, à l’occasion, mais pas plus.

Ce réflexe glouton en boutique du "je le veux, tous, maintenant, et tout de suite", je commence à le perdre. Je me raisonne. Je sais que mes premières impulsions ne sont pas forcément les bonnes et qu'au final, c'est souvent avec le parfum que j'ai rejeté, auquel je suis revenu, intrigué, encore et encore, que je vais probablement vivre l'histoire la plus durable. Pour être tout-à-fait honnête, ils sont nombreux ceux dont je me passe très bien, et probablement encore plus nombreux ceux que je désirais tellement et dont je suis incapable de me souvenir aujourd'hui. Il m'arrive même de me dire parfois que c'est bien étrange que j'ai pu vouloir ça!

Le pire, le sommet du pire, le comble de l'horreur absolue, c'est d'en arriver à vouloir des choses non-senties, sur la simple base d'une rumeur, d'un on-dit, sur l'avis de X ou de Y. Ça, c'est un peu l'effet troupeau, l'effet mouton. Le danger du perfumista égaré, non pas au milieu des fauves, mais au milieu de ses pairs. Et il est parfois bien commode de fréquenter des gens qui savent nous calmer, nous remettre à notre place d'un "tu aimes ça, toi?" dubitatif. Parce que parfois nous nous rendons compte, que "non, pas vraiment"! c'était juste un effet de mode, un emballement collectif, dont on va probablement se demander dans quelques années pourquoi nous y avons céder.
abondance dans les armoires...
NON, je ne risque pas de manquer!

La pire des conséquences, elle est dans mon armoire. Des flacons de culpabilité, plus que de parfum, eu je contemple avec regret, que je ne porte qu'en me forçant en enrageant un pu parce que je me dis que je serais tellement plus heureux avec tel autre.ils ont leur utilité, je les garde comme des avertissement, des repli que je dois réfléchir et que je serais plus heureux en étant plus raisonnable. Parce que parfois, les choses qui devraient n'être que plaisirs  et légèretés deviennent d’encombrants et lourds cadavres dans nos armoires.

*Ce billet fait partie d’une série consacrée aux 7 péchés capitaux revus à la mode perfumista.

Commentaires

  1. Je découvre ton blog via ce billet et je suis séduit. Je suis plus cuisine que parfums, mais je craque déjà plus souvent que de raison côté senteurs. Mot d'ordre pour l'instant: discipline, je vais attendre de finir un ou deux flacons avant de remettre le pieds chez Senteurs d'Ailleurs (ou autre lieu de perdition du même style) ;-)

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    1. Bienvenue dans un monde de folie douce... Et de belles choses. Bravo pour la discipline, reste à voir si ça va être possible. Senteurs d'Ailleurs, c'est l'enfer. Il faut que j'évite de passer devant et de regarder le site. Mais je ne suis pas peu fier d'avouer qu'il m'est déjà arrivé de sortir du magasin sans achat. (Principalement parce que ce que je voulais n'était plus en stock, certes.)

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  2. C'est de moi que tu parles dans ce billet, c'est ça hein?! Non mais faut le dire quoi! Comme quoi, mon péché capital dans la vie de tous les jours est aussi celui de ma vie parfumée... Et je n'en suis pas toujours fière, je l'avoue. J'essaye de me contenir par rapport à Guerlain pour le moment (nom de Zeus, c'est Guerlain, me le faut, vite! Arh , mert' c'est pas trop ça, c'est pas terrible, c'est pas mon style, mais c'est pas grave, me le fallait parce qu'après tout... c'est Guerlain), mais aussi par rapport à certains avis sur AuParfum sur des parfums que je ne connais pas et pour lesquels je me retrouve à commander des échantillons payants sur le net... Ouvrons la fenêtre que Sun puisse jeter son fric... o_O Y a un sac dans mon armoire qui contient mes "erreurs": parfums fanés achetés sur ebay, fautes de goût, achats compulsifs parfois très chers... Comme tu le dis si bien, ils deviennent d'encombrants et lourds cadavres, pleins de culpabilité et de bêtise.

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    1. J'aimerais bien parler de toi... Hélas, je n'ai eu qu'à regarder mon nombril... Et je confirme que les forums et les blogs sont un danger permanent: ils nous mettent en tête des folies auxquelles on n'aurait JAMAIS pensé tout seul. C'est une honte! que fait la police?

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  3. En fait, tout dépend de la conservation ; accumuler jusqu'à 20/25 flacons pour parvenir à environ 2 litres de parfums est peu ou prou ce qui m'attend à terme, soit en théorie au moins 10/12 ans de consommation... Si les jus se conservent une décade, ça ne me gêne pas. Il faut juste veiller au stock total (jamais je ne pourrai aller au delà de 2 litres, encore pour des histoires de conservation).

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    1. Et une fois qu'on est à 25, on fait quoi? On ne rentre plus en parfumerie? On s'interdit les flacons jusqu'à ce qu'on en ai jeté un? (Je ne pourrais pas...) Pour la conservation, ayant l'habitude des vintage, je ne me tracasse pas trop. elle va parfois bien au-delà de 20-30 ans, Dieu merci!

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    2. Si, on profite pour faire de nouvelles découvertes à son rythme (et selon son temps, qui n'est pas trop extensible pour moi). Et une fois que le stock global de 2 litres est passé à 1.9, on achète celui que l'on a préféré et qu'on a longuement testé. Ainsi, cela évite d'acheter n'importe quoi (plus de regrets), et le nouvel achat tant attendu comble une réelle attente !

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  4. Vous avez raison, il y a la gourmandise et même une forme plus ou moins marquée de compulsion. Il y a aussi la peur de la disparition, une forme de crainte du vide que connaîssent plusieurs amateurs de vintage. Je soupconne les historiens, dont je fais partie, les ethnologues, muséologues, historiens de l'art et autres amoureux de ce qui n'est plus, d'être particulièrement atteint de ce mal. Pourtant, nous sommes assez bien placés pour savoir que rien n'est éternel ni irremplaçable. Certes, ce qui viendra après ne sera pas identifique, peut-être moins beau, du moins perçu comme tel ce qui revient à la même chose, mais après... Est-ce si grave? Le parfumista anxieux croit que oui, c'est capital, terrible, l'anéantissement de la beauté, la merveille devenue introuvable qu'il pourrait sauver, etc (donnez les qualificatifs qui vous chantent à ce doux délire)....jusqu'au moment où, embarrassé, il se raisonne, un peu. Calmé et serin, jusqu'à la prochaine crise sans doute.

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    1. Oui, on est parfois dans le compulsif et l’incontrôlable. J'aurais pu parler d'eBay, cet enfer virtue ou je perds mon âme et ou je déniche de beaux parfums. Ce n'est pour moi ni une crainte du vide (je crois) ni une passion muséale puisque je porte sans remord sans tenter de conserver la moindre goutte pour l'histoire ou le souvenir, mais plus une volonté de m'approprier le beau pour pouvoir le contempler à loisir, en jouir au calme, chez moi. (De façon ridicule puisque je ne peux jouir de tous ces flacons en même temps.) Mais c'est vrai que j'ai un fort attachement au passé, je n'ai pas fait l'Histoire pour rien.
      Quand aux crises: aucun doute pour moi: elles reviendront!

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  5. Bonjour Dominique,
    Je viens de lire la plupart de vos posts sur ce blog et je suis très intéressée de lire celui-ci : le tout premier ? Celui où comme vous le dites sur ce blog, "où tout part dans tous les sens".
    Serait-il possible de me communiquer le lien, j'ai beau chercher, je ne l'ai pas trouver.
    A propos de cet article, mon Dieu que vous dites vrai, que de vérités, moi aussi, je m'y reconnais.
    Cette frénésie des parfums, notre arrivée sur les forums et tout ce qui va suivre par la suite (...), le fait de n'en avoir jamais assez, les achats compulsifs, les achats à l'aveugle que l'on regrette, les achats que l'on fait parce qu'un tel ou une telle vous a parler en bien de tel ou tel parfum...et j'en passe.
    C'est une vérité que fréquenté ses "pairs", c'est s'engouffrer un peu plus dans l'abîme.
    En fait, je crois que l'on reviens à ses premiers amours (...), mais peut-être, est-ce un luxe, du luxe - très certainement - que l'on arrive à s'offrir. Tout comme vous et tant d'autres, je me sent une perfumista dans l'âme, je vis le/les parfums et tant pis si l'on passe pour des fous.
    Mes parfums font partie de moi et de ma vie, impossible de passer une journée sans être parfumée.
    Je reste très attaché aux parfums vintages et je pense sincèrement que les anciens parfums, ceux toujours en vente ou ceux discontinués, ont marqué l'histoire des parfums, nous ont marqué, cela m'attriste que certains n'existent plus.
    Je ne m'intéresse que d'assez loin aux parfums de niche car j'ai déjà du "mal" à m'en sortir avec ceux que l'on trouve dans les parfumeries générales. Et puis je me dis que si je me mets à m'intéresser aux parfums de niches, ma frénésie risque de prendre une autre tournure. Mais comme je le dis plus haut, je m'apperçois que je reviens à mes parfums de "base", je tourne pratiquement toujours avec les mêmes et il n'est peut-être pas très raisonnable que j'emplifie cette passion.
    Dans l'attente de vous lire.
    Cordialement
    VANDERBILT

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    1. Ah, les disparus sont nos trèsors parfois perdus, parfois rescapés. On en revient à ses premières amour? non, pas forcément, dans mes indispensables, il y a heureusement des parfums nés bien longtemps après mon intérêt pour les parfums. Et heureusement car ce serait le désespoir le plus complet qui nous guette avec l'age au rythme des disparitions et défigurations! Niche or not niche, là est la question... Oui, on peut faire l'un ou l'autre, ou, encore mieux, l'un et l'autre sans être forcément plus déraisonnable. ça force juste à faire des choix, d'autres choix. J'avoue ne pas me perdre dans la niche et porter surtout des vieux classiques mainstream, mais pas que... Et pour ce qui est de m'en sortir, je n'y arrive pas non plus. Je zappe tout une partie de la production. (Pas moyen de faire autrement)
      l'ancien blog était à l'adresse entransformation.blogspot.com
      à bientôt, icii ou sur BT!
      Dau

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  6. Bonsoir Dau !
    Je rentre de vacances et je découvre en photos votre cabinet secret.... Il ne faut pas que j'aille chez vous, ou alors comptez vos flacons avant et après ! J'ai eu deux filets de bave de chaque côté de la commissure des lèvres en reconnaissant quelques bouteilles, dont un "Parfum" d'Hermès, qui avait l'air de me dire "tu ne m'auras pas, tu ne m'auras pas!" : l'envie et la gourmandise réunies...
    Quoiqu'il en soit, j'ai du me gendarmer : pas plus d'un flacon par mois, j'ai fait ma "wish list". Je vais casser ma tirelire dans pas longtemps pour mon anniversaire, mais c'est tout. Je ne dis pas que c'est facile, mais c'est comme pour un régime, il ne faut pas craquer.
    Ceci dit, je trouve que notre marotte n'est pas plus ridicule que celles qui sortent avec dix boîtes de chaussures du magasin, ont des dressings tellement remplis qu'elles n'auront pas assez de jours dans l'année pour mettre une fois chaque paire qu'elles possèdent !

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    1. Hélas, il faut bien que nous nous gendarmions, mais que c'est dur de tenir et de ne pas craquer... Sinon, pas de risque: je connais chaque flacon, et je les planque, il ne sont pas en libre accès!

      Non, notre marotte n'est pas ridicule, pas à nos yeux, mais elle est socialement mal jugée... Bien plus que les chaussures et les sacs à main, puisque, en plus, ça ne se voit même pas!

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  7. "Ça ne se voit pas", le critère numéro un de l'acceptation sociale une fois que l'on a statué sur l'inutilité. La question de base de l'entourage peu sensible aux parfums:
    -ça sert à quoi?
    -d'un point de vue utilitaire...à rien et plus intimement, à se faire plaisir égoïstement...
    Mon conjoint a une variante qui est la suivante: ça ne se boit même pas, en pensant aux bouteilles de vin.
    Je rétorque systématiquement que le flacon de parfum dure plus longtemps que la bouteille de vin, plaisir très éphémère.

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    1. Je me pose souvent quand j'ai droit à ces réflexions, des questions sur la maison de ces gens: n'ont-il décoré que les pièces de réceptions et leurs chambres qu'ils sont les seuls à voir sont-elle d'austères cellules monacales ou tout est fonctionnel? Souvent, on oublie que toutes nos vies sont remplies d'inutilités, chacun les siennes, et que c'est cela qui en fait le charme. et pourquoi les musées, l'art, ça sert vraiment à quelque chose? Sans parler de regarder la télévision et d'aller au cinéma... Oui, ce qui est inutile (dans le pur sens non fonctionnel et non nécessaire à la vie) est indispensable.

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