envie*

"Dans l’esprit de M.de Charlus qui, il y a quelques jours, ressemblait à une plaine si uniforme qu’au plus loin il n’aurait pu apercevoir une idée au ras du sol, s’étaient brusquement dressées, dures comme la pierre, un massif de montagne, mais de montagnes aussi sculptées que si quelque statuaire, au lieu d’emporter le marbre, l’avais ciselé sur place et où se tordaient, en groupes géants et titaniques, la Fureur, la Jalousie, la Curiosité, l’Envie, la Haine, la Souffrance, l’Orgueil, l’Épouvante et l’Amour."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, Sodome et Gomorrhe, 1922.

L’envie. Pas le désir, figure plaisante et potelée, qui offre ses grâces alanguies.Le désir, j’ai longtemps vécu en lui, angoissant à l’idée que je ne souhaitais plus rien pour un bref instant, ayant l’impression que toute vie s’arrêtait. Avec l’âge, avec le temps, est venue une certaine sagesse, un certain recul, et il m’arrive de ne pas convoiter et de très bien le vivre. En fait, je trouve ça assez reposant.

Mais  parlons de l’envie, ce démon venimeux qui tord les cœurs et lacère les esprits. L’envie, telle que nous ne la connaissons peut-être pas, quoiqu’en réfléchissant un peu, nous ayons tous connu des envieux.  Ceux qui disent de vous, dès que vous tournez le dos, que vous sentez trop, que vous êtes un peu vulgaire, et que dix ans plus tard vous retrouvez drapés dans ce même parfum qu’ils avaient tant détesté. Mais en plus. Plus que vous, dans une version plus concentrée. Vous avez l’impression de retrouver, non pas un parfum ancien, mais sa caricature.

Le coffret Guerlain qui a fait bien des envieux.
Et je le comprends.
L’envieux ne vous aime pas, mais ne peux s’empêcher de reconnaître votre supériorité dans son for intérieur, supériorité qu’il imagine de toutes pièces et qu’il va singer, parce que, vraiment, ce qu’il voudrait, c’est être à votre place. Il y a des gens que ça énerve. Moi, qu’on adopte mon parfum, je ne le remarque pas vraiment. Parce que j’en porte trop et que je ne m’identifie pas à eux. Au contraire, je suis même plutôt content de vivre dans une monde qui compte un peu plus d’Infusion d’Iris et un peu moins de La vie est belle. J’ai connu des envieux et je ne leur en ai pas voulu, il étaient malheureux et ont mal vieilli, ils n’ont fait que s’aigrir. (Comme je suis vraiment vilain, je les ai laissés s’imaginer qu’ils avaient raison : que j’avais tout mieux qu’eux.)

Partager le même parfum, les mêmes parfums, certains ne supportent pas du tout, pourtant, en compagnie un peu choisie, ce n’est pas désagréable. On se reconnait entre pairs, on se retrouve en petit groupe, en comité choisi, c’est un signe de ralliement entre gens partageant les mêmes goûts. Ce n’est pas désagréable du tout. Un perfume twins, c’est même très sympathique quand c’est quelqu’un qu’on apprécie. Mais là, il n’y a pas d’envie, juste du partage.



 *Ce billet fait partie d’une série consacrée aux 7 péchés capitaux revus à la mode perfumista.

Commentaires

  1. Très joli billet qui dit si bien les choses que je ressens! Ah ces envieux aigris...Mais quel bonheur de reconnaître un de ses parfums chéris sur quelqu'un qu'on imagine très bien apprécier! Bel été à vous

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  2. Mon Cher Dau,
    Je retiens surtout votre phrase "Vous avez l’impression de retrouver, non pas un parfum ancien, mais sa caricature". Ne pensez-vous pas que les envieux sont eux-mêmes des caricatures? Ne serait-ce l'envie le péché le plus pathétique de tous? L'oubli de notre individualité au profit de l'envie des goûts d'autrui...
    Très cordialement,
    Sara

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    1. Chère Sara,
      Bien sûr qu'ils finissent par être des caricatures. Maintenant, le péché le plus pathétique, je ne sais pas: il y a tant de façon de se perdre soi-même que celle-là n'est pas la seule...
      à bientôt
      D

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