avarice*

« ils s’entassaient inutilisés… »

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, le côté de Guermantes, 1921.

Parler d’avarice n’est pas forcément parler d’argent. Les perfumistas n’ont généralement pas le sens de l’argent, savent à peine compter. Deux budgets existent, un budget "vie courante" et un budget « parfum » et ce dernier explose régulièrement, empiète sur l’autre, joyeusement et sans scrupules, parce qu'il y a toujours une "bonne affaire" ou l'un ou l'autre vintage introuvable qui se montre au moment même où le perfumista devient "raisonnable, promis, juré!"

Autant être honnête, en termes de parfums, toute tentative d'économie semble vaine, vouée à l'échec. Tombée en amour pour un parfum hors de prix est un drame très courant et sans solution, il faut faire son deuil ou économiser, aucune tentative de trouver un substitut ne s'étant conclue de façon positive. C'est bien triste que vous soyez folle de Tom Ford, ma chère, car il ne peut se remplacer par un quelconque équivalent signé Roger & Galet ou Molinard. Ce n'est pas que tout soit moins beau, moins qualitatif, c'est juste que c'est celui-là et pas un autre exactement comme, dans les Feux de l'amour, nous savons que Clara fait une erreur en épousant Kyle, le frère du beau Karl qui la repousse. Vous sentirez bon, mais il y aura toujours cette petite différence qui vous laissera un sentiment d'insatisfaction. Et au final, vous finirez dans la boutique du sieur Ford à payer le prix fort, d'autant plus fort que vous vous serez encombrée de flacons qui ne vous plaisent pas vraiment et qui vont moisir dans vos placard. Si vraiment vous ne pouvez pas, passez à autre chose,vraiment autre chose, dans un autre genre: un parfum que vous aimerez pour lui-même et non parce qu'il vous en rappelle un autre.

Et avez-vous vraiment besoin de copines en Dior?
Je ne crois pas...
La bonne nouvelle est que l'inverse est tout aussi vrai: vous pouvez parfaitement tomber en amour avec une fragrance R&G et ne pas apprécier les éventuels remplaçants "plus chics, plus classe, en mieux" que vous auriez chercher pour plaire à vos copines en Dior qui vous snobent. La vraie solution à ce type de problème, nous la connaissons tous: vous n'avez pas besoin de soit-disant copines qui vous méprisent. Croire que plus cher signifie plus beau, plus mieux, plus tout, est une erreur. Souvent, c'est surtout l'emballage qui est plus luxueux. Oui, il peut y avoir ces sacro-saintes "belles matières" à prendre en compte mais un grand maître vous fera une merveille avec un crayon et une feuille de papier quand un peintre du dimanche ne vous fera qu'une croûte avec les pigments les plus précieux. Ne soyons ni dupes, ni snobs. Le beau pour tous, c'est possible et ça, c'est plutôt une bonne nouvelles.

Mais ce qui énerve vraiment le perfumista, c'est l'espèce toute voisine avec laquelle on le confond parfois à son grand désespoir: le collectionneur. Pour un perfumista, c'est lui le vrai avare, le pécheur, ce rival haï des enchères sur vieux flacons, cet accumulateur jaloux de trésors inutilisés. Car cet Harpagon ne porte pas les parfums, son goût de la collection se borne à une accumulation de flacons dans ses caves. Pourtant, un parfum, un beau parfum, est fait pour vivre, pour être porté, pour s'exprimer sur la peau. Par pour tourner au vinaigre sur une étagère. Un beau parfum, ça doit se porter, un beau parfum que je ne porte pas, personnellement, je le donne, je l'offre, je ne peux pas supporter de le voir délaissé, abandonné: si quelqu'un d'autre peut lui donner vie, j'en suis ravi. 




*Cet article fait partie d’une série consacrée aux 7 péchés capitaux revus à la mode perfumista.

Commentaires

  1. Nom de Zeus comme ce billet sonne juste! Je m'y reconnais tellement que s'en est effrayant (surtout le point "budget"...)

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    1. On monte une Association de Perfumistas Anonymes? "Bonjour, je m'appelle Dominique et je suis perfumista..."

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    2. On devrait! Le jour où je pourrai brandir un jeton "30 jours" sans achat, ce sera une vraie victoire!

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  2. Auriez-vous lu ma pensée ces derniers jours? L'extrait de Samsara, dont je n'aime que les notes de tête, et l'eau de parfum vintage d'Opium, que j'avais offert à une amie et que je viens de récupérer, se morfondent chez moi. J'ai porté Opium vintage il y a beaucoup mais aujourd'hui ce n'est pas moi du tout; en ce qui concerne Samsara je n'arrive pas à le porter: il y a un petit quelque chose qui ne va pas. Je vais donc en faire cadeau, respectivement, à une tante qui aime beaucoup Opium et à une vieille vedette du music-hall que j'apprécie beaucoup et qui n'a plus les moyens de s'offrir un extrait. De cette façon il y aura de la place sur mes étagères et je pourrais étaler mes parfums chéris, ceux que j'affectionne vraiment, et que je risque d'oublier.
    Cordialement,
    Sara

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    1. Les perfumistas se ressemblent tous et partout, ça doit être ça!
      Et c'est "ce n'est plus moi" ou "un petit quelque chose me dérange" sont tellement typique également. D'autres que des passionnés n'y prêteraient pas attention et videraient leurs flacons, mais pour nous, une seule petite note discordante peut mettre fin à une histoire...

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