C'était le printemps, un printemps pur et glacé."
Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.
Tokyo est un très joli parfum: un peu d’hespérides et assez
vite, une note de thé vert à peine touché de jasmin, le tout posé sur une jolie
base de muscs blancs et de bois. Le parfum est vert, incontestablement, mais
pas de ce vert froid qui vous fiche des claques, le vert tendre des premières
pousses au printemps quand le fond de l’air est encore frais. Voulant évoquer le
Japon, Tokyo est épuré, simple, mais son épure est plus poétique, un brin
sentimentale, qu’intellectuelle ou méditative.
Tokyo, une ville, un parfum, Guerlain |
Aucune ascèse, plutôt un moment
de repos dans une chaise longue en dégustant une tasse de thé. Une plage de
sérénité comme on aime à en vivre parfois. Absolument pas le genre de chose que
je porte au quotidien, je le réserve à ces jours ou je sais que j’aurai un peu
de temps pour moi, ou je pourrai prendre quelques heures pour lire, traîner,
rêvasser. Parce qu’il s’y prête et parce que sa discrétion en fait un parfum
qui réclame qu’on lui prête un peu d’attention et non un parfum qui s’impose.
Qu’est ce qui ne va pas avec Tokyo ? Le marketing, une
fois de plus. Ce joli parfum aurait facilement pu trouver sa place et
rencontrer le succès en étant sorti comme une eau, à côté des colognes. Il
aurait été à la fois moderne et qualitatif, un peu à la façon des colognes Hermès,
ou de l’Eau au Thé Vert de Bulgari. Il aurait rencontré son public, trouver sa
légitimité dans la famille Guerlain. Au lieu de ça, il fallait qu’il soit un
exclusif dans une ligne, une ville, un parfum, dont le but était
vraisemblablement d’attirer dans les boutiques la clientèle étrangère.
Tokyo n’est pas ce qu’on attend de Guerlain associé,
abusivement à mon humble avis, à la sensualité gourmande de la vanille et de la tonka, à une
certaine lourdeur. Tokyo déçoit, n’est pas ce qu’on espérait et n’a du coup pas
sa chance. Quant à attirer le japonais, j’ai de sérieux doutes. Le parfum n’est
pas exactement populaire au pays du soleil levant. Personnellement, j’aurais
plutôt misé sur une nouvelle campagne pour Mitsouko. Plutôt que sortir un truc
dont on sent qu’il est calibré pour plaire à un public précis, il vaudrait
mieux mettre en avant une création qui souligne un lien ancien : « il
y a presque 100 ans, Jacques Guerlain fasciné par une héroïne japonaise créait
un parfum à son nom » a quand même plus de gueule que « votre pays
nous inspire, venez voir ça dans nos boutiques parisienne » qui fait un
peu tentative désespérée d’attirer un touriste qui à priori n’en a pas grand-chose
à faire du parfum. Et qui souhaite probablement plus s’offrir un peu de magie
parisienne qu’un jus concocté à son usage.
Enfin, il est vrai que je n’y connais rien en stratégie
marketing, mais la suppression de cette ligne semble démontrer que celle-là n’était
pas la bonne. Dommage car c’est un joli parfum, délicat, qui disparaît, un
parfum qui apportait vraiment quelque chose à la marque avec sa verdeur légère
quand d’autres exclusifs, plus populaires, me semble jouer les redites en
brodant éternellement sur les mêmes thèmes en enfermant la marque dans une
espèce de caricature d’elle-même.
Tokyo, collection une ville un parfum, Thierry Wasser pour
Guerlain, 2009.
Mon cher Dau,
RépondreSupprimerJ'ai beaucoup apprécié Tokyo testé dans la boutique Guerlain mais, tout comme vous, je ne suis jamais arrivée à comprendre un tel prix pour une senteur aussi subtile que délicate et fuyante. J'aurais apprécié ce parfum encadré dans une collection différente car je raffole absolument des Eaux de Cologne (et des eaux de « quoi-que-ce-soit »).
En ce qui concerne Tokyo je lui trouve une véritable personnalité faite de subtilités et de délicatesses, il est vraiment dommage d’apprendre qu’il n’a pas fonctionné comme prévu mais dites-vous que toutes les maisons n’ont pas su, soit disant, se faire une réputation comme Maisons à Eaux de Cologne (Hermès bien au contraire a bien misé sur ces eaux : les jardins, les colognes, la plupart des Hermessences qui sont sans aucun doute des calligraphies olfactives).
D’autre part je suis complètement d’accord avec vous, Guerlain aurait dû mettre Mitsouko en avant et souligner cette création extraordinaire (une création que je ne porte pas car portée par une amie qui à son tour ne porte ni l’Eau de Campagne, ni Coriandre).
Jamais, jamais je ne pourrais vous remercier suffisamment pour la découverte de cette petite merveille qu’est Coriandre !
Très cordialement,
Sara
Oh, je suis si content pour Coriandre!
RépondreSupprimerMauvais positionnement pour Tokyo et mauvais prix, effectivement. Une partie du problème vient peut-être d'un inconscient snobisme de beaucoup qui fait que le vocable Eau est moins élégant, moins précieux.Une raison de plus de saluer Hermès qui a fait des merveilles à des prix démocratiques et finira peut-être par convaincre les gens que les Eaux et Colognes sont vraiment du dernier chic!