“Alors je connus cet appartement d’où dépassait jusque dans l’escalier le parfum de Mme Swann…”
Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, à l'ombre des jeunes filles en fleurs, 1919
Il y a des parfums
avec lesquels on a une relation étrange, compliquée. Pour moi, l’Heure Bleue
est une histoire d’amour à distance, un parfum que j’aime sentir, posséder mais
pas nécessairement porter. En 25 ans, j’ai usé deux flacons dont un extrait en
7,5 ml, mais j’en ai encore à la maison qui vieillit dans mon armoire. (L’Heure
Bleue vieillit très bien, il est encore plus beau après deux ans) Parce que le
parfum est beau, rassurant… Mais aussi déroutant, d’une fois à l’autre, je sens
d’autre notes, presqu’un autre parfum, avec lui, je sens juste une ambiance,
une atmosphère confortable, la seule constante du parfum…
L’Heure
Bleue m’a toujours évoqué une maison bien tenue, avec tout ce que ces termes
peuvent avoir d’équivoque. Il y a la note encaustique de départ, celle des
meubles bien cirés, des parquets glissant qui donne le ton dès le départ,
ensuite, viennent les bouquets de fleurs posés un peu partout dans cet
appartement idéal, de gros bouquets serrés, comme on les faisait au XIXème
siècle, puisque l’Heure Bleue n’a rien de moderne. Et puis il y a les odeurs de
cuisines, de pâtisseries, l’Heure Bleue sent parfois un peu les épices, un peu
le cake à la vanille, un peu le massepain, le goûter de Marcel et Gilberte ?
Viennent ensuite, en fond, les notes les moins bourgeoises, celles qui évoquent
un peu plus la femme offerte, la cocotte sensuelle qu’Odette est peut-être
restée, parce que sous ses aspects respectables, très mère de famille et bonne
épouse, l’heure Bleue sentirait, en effet, presque le bordel 1900, la maison de
luxe, rien de sordide, en traces infimes, quelque chose d’un peu louche qui se
mêle à la poudre de riz.
D’ailleurs,
n’est-ce pas le parfum que Buñuel a fait porter à Catherine Deneuve dans Belle
de jour ? Cela influence peut-être ma perception… Mais en même temps, c’est
assez typique de la signature Guerlain, cette sensualité flirteuse, ce rapport
de séduction qui s’insinue, cette sensualité qui rampe, entoure, caresse et
flatte… L’infusion de fleurs gourmande qu’est l’Heure Bleue ne m’a jamais parue
innocente, maternelle et rassurante, certainement, mais cette mère-là a un
passé qui la poursuit à travers son parfum comme une fleur de lys marquée sur
sa peau.
L'Heure Bleue, Jacques Guerlain pour Guerlain, 1912.
J'aime surtout cette dernière phrase "un passé qui la poursuit à travers son parfum comme une fleur de lys marquée sur sa peau". J'ai maintenant hâte de partir pour "ressentir" cette 'Heure Bleue", peu connue à Madrid et dont personne ne parle.
RépondreSupprimerJe profite de l'occasion pour vous souhaiter une merveilleuse année 2014.
Très Cordialement,
Sara
Très bonne année à vous!
RépondreSupprimerQue l'Heure Bleue ne soit pas très connue en Espagne ne m'étonne pas: c'est un mythe très franco-français, tout comme la maison Guerlain qui a parfois du mal à rayonner à l'international et à s'imposer sur les marchés étranger. Je constate une énorme différence entre les gens autours de moi: pour les francophones, Guerlain inspire respect et considération alors que pour les autres ce n'est pas une marque très prestigieuse...
à bientôt!
J'ai toujours eu un problème avec l'Heure Bleue.. Cela ne va pas jusqu'au malaise comme Shalimar, mais je le trouve "too much"... Je retrouve la base et les prémices de l'Heure Bleue dans Après l'Ondée. Sauf que là, à mon humble avis, on touche au sublime, au chef d'oeuvre : de l'art, de la poésie en parfum, des teintes délicates tout en douceur... Dans l'Heure bleue, les teintes sont devenues des couleurs criardes et ont bavé...
RépondreSupprimerJe ne dirait pas que les couleurs sont devenues criardes, mais elle ont quelque chose de beaucoup plus bourgeois, avec tout ce que ce goût peut comporter de pompier parfois. Après l'Ondée, je l'ai connu en extrait et c'était tout autre chose, évidement, de la pure poésie. J'avoue ne pas avoir senti les versions eau de toilette tant la disparition de l'extrait m'a désolé. Je crois qu'on n'y retrouve plus cette odeur qui évoquait à la fois l'amande amère et l’intérieur du noyau de pêche et j'ai trop peur d'être déçu. On me dit que c'est fort joli avec de belles matières, certes, mais...
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