Tout n’est pas que littérature…

"Elle a l’odeur de tout ce qu’il avait imaginé : fraise, citron et guimauve"

Mo Hayder, Fétiches, 2013.

J’aime lire. Vraiment. Je ne pourrais pas vivre sans lire. Mais quand je lis certaines phrases, en tant que perfumista, je me révolte…

Mo Hayder est une spécialiste du thriller sombre et glauque, terriblement efficace et stressant qui n’hésite pas à donner des détails dont à vrai dire on se serait bien passé. (Sauf qu’évidemment, on adore ça, exactement comme quand, au cinéma, on met les mains devant les yeux en écartant les doigts au maximum pour voir tout…) Et puis au moment où deux personnage se saute dessus pour une étreinte que devrait être torride, voilà comment elle décrit l’odeur du personnage féminin : "fraise, citron et guimauve !" Non, il n’est pas question d’une petite fille qui va être violée par un affreux pédophile, contrairement à ce que vous auriez pu penser, mais d’une femme adulte, après une journée de travail et un passage au pub. Alors, moi, ça m’énerve. Parce que ce n’est pas ça que sens une femme. Même parfumée d’un sirop de glucose arôme fraise chimique… Et c’est d’autant plus énervant que ça vient d’un auteur qui n’a pas peur de nous envoyer la réalité à la face, de décrire les odeurs de cadavres en salle d’autopsie ou les charognes retrouvées dans les égouts…

À l’inverse, dans Spirale de Tatiana de Rosnay, 2004, j’avais adoré l’utilisation faite du parfum. L’héroïne est une bourgeoise, bien sous tous rapports, qui dérape avec un seul faux pas aux conséquences catastrophiques (dans un genre hitchcockien). Son parfum ? Chaque année, elle reçoit Calèche, Hermès, en cadeau et s’en débarrasse aussitôt en le donnant. Et par ce simple détail, tout est dit au perfumista qui saura immédiatement que cette bourgeoise n’est finalement pas une femme comme il faut. Non pas parce qu’elle donne un cadeau, mais parce qu’elle n’aime pas les aldéhydes de Calèche. Forcément, cette femme est une imposture, ce rôle de bourgeoise parfaite n’est pas le sien…


Vous êtes peut-être en train de vous dire que je suis en plein délire, mais c’est ça aussi être perfumista, un délire constant, voir le parfum partout. De même qu’aimer la littérature, c’est la voir partout, y compris dans le parfum. Et vous, ça vous fait ça aussi? Vous voyez aussi le parfum partout?

Commentaires

  1. Bonjour,
    Oui, je vois le parfum un peu partout.
    Les parfums que les personnes choisissent ou ne choisissent pas, ne mentent jamais en réalité. Je me suis rendue compte que bien des gens, ces derniers temps, ont choisi des jus très communs au lieu de leurs senteurs bien à eux. Ces nouvelles senteurs jugées « fraîches » sont censées « n'offenser personne ». Et pourtant ces senteurs ne sont pas toujours fraîches, mais elles sont, par contre, très connues des espagnols (fleur d’oranger, jasmin, tubéreuse, agrumes, lavande, fougère). C’est peut être un effet de la crise.
    Parfumés ou pas, nous sommes nus face au monde qui nous perçoit à travers nos odeurs. L'odorat se révèle toujours plus puissant que la vue: j'ai eu occasion de le noter maintes fois. Une personne attrait ou repousse une autre plus facilement par son odeur que par son aspect.
    Au moins c'est comme ça chez nous. L'Espagne est un pays qui olfactivement ne ressemble guère aux autres pays Européens. Il y a une culture extrêmement développée de « l'Eau de quoi que ce soit » au lieu de la culture du parfum (les gens continuent de se méfier des extraits et des eaux de parfum). Une culture qui en principe rejette les "sucrailles" car lourdes (mais apprécie énormément la tubéreuse), où les gens raffolent les uns des autres à cause de l'odeur, où à peu près 90% de la population reçoit des eaux, des colognes ou autres éléments pour se parfumer à l'occasion des fêtes de Noël et s'en sert par la suite... Perfumista, je me suis rendue compte, récemment, que les espagnols aiment se reconnaître entre eux par l'odeur.
    Très Cordialement,
    Sara

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    1. Une seule réponse possible: il faut que je quitte Bruxelles pour aller vivre en Espagne. Ici, la présence des protestants du nord tout proche semble un peu paralysante. Vraiment, dans un pays à deux cultures (latine/germanique), comme le mien, on peut sentir que ce n'est pas le même cadre culturel pour tous... Et je ne me sens pas l'âme d'un protestant puritain du nord.

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  2. Bonjour Dau
    Avez-vous la série "Hannibal" avec Mads Mikkelsen ? Je suis complètement fan de Mads Mikkelsen. Il y campe un dandy cannibale délicat et cultivé (si, si, je vous assure!), tiré à quatre épingles, aux goûts exquis. Il prépare des mets absolument hallucinants (dont je vous tairai l'origine des matières premières), fabrique lui-même sa bière.... Et comme tout chasseur, il a un odorat de prédateur. Humant délicatement la femme d'un ponte du FBI, il divine à son odeur qu'elle est atteinte d'un cancer du poumon mais ajoute "Votre parfum est absolument exquis, sans doute un parfum Jar..." Il suit un jeune profiler (c'est un psychiatre) en complète empathie avec les serial killer. Se penchant sur l'épaule de son jeune patient, il commente, l'air de rien, "je vous donnerai le nom de deux ou trois parfums, si vous le voulez bien..."
    Gamine, je fantasmais sur Joseph Rouletabille et son "je sens le parfum de la Dame en noir " en dévorant le Mystère de la Chambre Jaune de Gaston Leroux et ensuite, bien sûr, le "Parfum de la Dame en noir" (moins bien que le premier)...
    Mais pour moi, la référence absolue en matière d'odeurs et de littérature, c'est le cultissime "Parfum" de Patrick Süskin. Je n'oublierai jamais le passage où une nourrice ne veut plus s'occuper du pauvre nourrisson abandonné qu'est Jean-Baptiste Grenouille à ses débuts parce que, explique-t-elle au prêtre qui le lui a confié, il n'a pas d'odeur. Et suit une description incroyable sur l'odeur des bébés, l'odeur de leur fontanelle, de leur peau qui sent le lait dont il sont nourris... Quelques années après, ce passage m'est revenu en mémoire à la naissance de ma fille. Je l'ai allaitée pendant neuf mois, et je passais mon temps à la renifler sous toutes les coutures...

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    1. Bonjour Ambre Rouge,
      Je n'ai pas pu allaiter mon fils mais je me rappelle très bien son odeur de bébé. Une odeur envahissante, extrêmement différente aux autres. Au lieu d'utiliser l’eau de Cologne "Nenuco" (eau de Cologne espagnole à la fleur d'oranger utilisée par 99% des parents), j'ai choisi de ne pas le parfumer afin de garder son odeur très personnelle. Cette chambre qui sentait le lait, cette odeur de nourrisson, je me souviens encore.
      Cordialement,
      Sara

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    2. Ambre Rouge, vous demandiez-vous aussi quel était ce parfum de la dame en noir? Pour ce qui est d'Hannibal, je n'ai pas aimé les livres et je n'ai pas essayé le feuilleton encore. Qui sait, peut-être que je devrais y penser?

      Pas fan de Süskin... Mon auteur préférré en odeur reste la dame du Palais Royal, Colette, qui parlait si bien de la nature et de ses odeurs.

      L'eau de cologne Nenuco, j'en ai chère Sara, un flacon chez moi qui me rappelle l'Espagne tant elle me semblait servir d'uniforme olfactif aux enfants. Une vraie marque de fabrique! En même temps, si ça donne le goût des fleurs blanches...

      Merci à vous de vos commentaires

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    3. Bonjour Sara,
      Moi aussi, j'ai pris le parti de ne jamais parfumer ma fille quand elle était Bébé. Comme on sait dans mon entourage que je m'intéresse aux parfums, on pensait me faire plaisir en m'offrant des parfums pour enfant. Mais ce sont plus les odeurs (ah le parfum du bébé mélangé à celui de sa Maman quand ils sont peau contre peau) qui me passionnent ! Je suis en extase quand le gazon vient d'être tondu, devant des champignons qui viennent d'être cueillis ou dans le souk aux épices d'istanbul...

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    4. A Dominique, maintenant...
      Moi aussi je ne suis pas fan des Hannibal en livres... Là les scénaristes ont situé l'histoire avant son arrestation. Rien à voir avec les films n'ont plus. Le choix de Mads Mikkelsen est particulièrement judicieux; si les âmes sensibles doivent vraiment mais vraiment s'abstenir (j'ai l'habitude des séries un peu trash mais là j'avoue avoir eu les cheveux qui se dressaient sur la tête !), un esthétisme particulier domine la série, ce qui rend les scènes d'horreur, encore plus horribles... Si vous la regardez un jour, pensez à moi dans l'épisode où un luthier recherche les son parfait et utilise un type de boyau très particulier pour ses violoncelles...
      Bien à vous

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    5. Promis, si je m'y mets...

      L'odeur du gazon: un délice et un supplice! (pour cause d'allergies...)

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