N°5, Chanel, version égoïste...

 


"Je n’aurais voulu entendre la grande actrice que dans un de ces rôles classique où Swann m’avait dit qu’elle touchait au sublime."

Marcel Proust, à la recherche du temps perdu, du côté de chez Swann, 1913.

Quand on a comme Chanel un classique de la taille du N°5 à gérer, ce n’est pas évident. Il faut prétendre que rien ne change et donner de la nouveauté pour rester dans la course. Les stars ne suffisent plus et les ventes s’essoufflent, le N°5 n’est plus N°1 des ventes à la veille de son centenaire. Garder les clientes ne suffit pas et comment en gagner de nouvelles ? Le système des flankers à ses limites et modifier le flacon n’est pas une option : la nouvelle cliente aime le flacon emblématique de la maison. L’an passé il y a eu une édition spéciale rouge mais je me demande si l’impact sur les ventes fut réel… Cette année, on refait le packaging de la ligne corps. Technique efficace, ça l’a rappelée à mon bon souvenir.



C’est amusant de se dire qu’on a tous des souvenir de N°5, parfois sans l’avoir jamais côtoyé. (Sa grande époque de N°1 des ventes était une époque où le parfum était un luxe, ou tout le monde ne se parfumait pas et ou votre voisine de bureau se parfumait au N°5 pour les grandes occasions. Traduction : pas pour toi !) Mais il a été le plus imité. Il est devenu avec ses fleurs et ses aldéhydes une référence absolue pour toute la parfumerie fonctionnelle. Nous avons tous été lavé avec un savon plus ou moins inspiré du N°6, nous avons tous subit un nuage d’Elnett très N°5 de la part de notre mère ou grand-mère qui abusait de la star des laques pour tenir sa mise-en-plis/casque de sécurité. Pourtant revenir à l’original reste un choc. 



Dans le genre petite douceur, je me suis offert la brume pour cheveux. Les aldéhydes sont présents mais discrètement, on sent surtout le joli accord floral du N°5. Le parfum est parfaitement identifiable mais plus moderne. Ma version préférée reste l’eau de toilette très aldéhydée, très solaire et autoritaire, mais celle-ci vient juste après. La brume est très juste, même si actualisée, plus gracieuse, classique et intemporelle que les autres versions que je trouve toujours déséquilibrées… L’extrait et trop jasmin, même si c’est un magnifique jasmin, l’eau de parfum trop musquée et propre, etc. La brume a l’effet un peu laque, savonneux, mais fortement atténué, et ce très joli duo de la rose et du jasmin, riche et opulent, sans être lourd ; c est plus confortable, plus tendre que l’eau de toilette. L’idée de la parer du flacon « parfum » pourquoi pas, mais c’est surtout le verre dépoli qui est une bonne idée.



Le gel douche est encore une autre histoire. Le lifting du flacon est minime : le bouchon est blanc et non plus noir, c’est un peu plus jeune, plus photogénique, mais surtout il se twist au lieu de se dévisser complètement, on a le luxe pratique. C’est très Chanel N°5 : Les aldéhydes sont là savonneux (encore heureux pour un gel douche) et poudrés, le bouquet floral aussi, mais surtout il y a ce fond sombre, un peu sale, cette note de jasmin qui tient un peu de la cire de bougie éteinte, grasse et noire. C’est peut-être bien la version la plus sexy du N°5. Celle qui permet aujourd’hui de se souvenir qu’il a inspiré des parfums comme Youth Dew d’Estée Lauder ou Amouage Gold. Ce à quoi on ne pense pas en sentant l’eau de parfum si propre sur elle.  C’est étonnant d’ailleurs un gel douche qui fait retrouver cette sensation un peu sale, si luxueuse et sensuelle à la fois, qui évoque une Diane au bain bien moins marmoréenne qu’on ne le disait dans nos livres d'histoire.

Oui, craquer pour un gel douche de luxe, c’est bien peu raisonnable. Mais c’est très Gabrielle Chanel dans le fond : un vrai luxe qui est un luxe caché, un luxe uniquement pour soi. Ça touche au sublime! Très honnêtement, si je veux profiter du N°5, si j’en ai envie, c’est ce gel douche qui me comble. Oui, c’est un bref instant. Non, tout le monde ne sentira pas que je porte du Chanel. Mais mon rapport au parfum ne passe pas par le plaisir des autres. Ni par un désir d’épater la galerie.  Je suis beaucoup trop égoïste pour ça… Pas vous ? Vous ne savez pas ce que vous rater !

Brume pour cheveux et gel douche N°5, Chanel. 


Commentaires

  1. Voila un bel article, qui "dissèque" le N°5 dans son éventail de possibilités. Contrairement à vous, je l'avais abordé par l'eau de toilette, ce qui a donné une déception. Je ne l'ai vraiment apprécié que lorsque je suis passé du P.de.T. à l'extrait. C'était une vraie armure pour moi, et maintenant je ne le porterai plus, je me contenterais d'admirer son packaging, via ce blog, le seul qui me plaise vraiment, où sur le site Chanel. Bravo pour le verre dépoli et le bouchon blanc, c'est si doux et tellement "boudoir", très chic sans ostentation. On se croirait dans un duvet de plume d'anges...
    Quant à mon rapport au parfum, il est le même que le votre, oui oui...
    C'est le luxe des solitaires et des casaniers ;)

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    1. L'extrait, je l'ai connu il y a assez longtemps et je l'aimais beaucoup. Mon Dieu dire que j'ai connu le N°5 à l'époque ou il n'y avait pas encore d'eau de parfum! Et je l'a détestée à sa sortie! Elle était tellement ancrée dans les années '80! Ce n'était pas du tout la version actuelle, c'était bien plus massif et violent. L'eau de toilette, à nettement moins changé. Et pourtant, c'est quand même considérable. Bref, c'est compliqué. Je me sens trahi, mais malgré tout c'est beau.

      Oui, la douceur du verre dépoli, c'est vraiment très joli, très gracieux et ça va rudement bien à ce flacon. (Alors que noir ou rouge, je ne suis pas particulièrement fan...)

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    2. Comme je vous comprend !

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